André Pratte aime polémiquer. Récemment, il s’en prenait à mon texte « L’anglicisation de Laval » en prétendant y apporter des « nuances ». A mon avis, ses « nuances » relevaient d’une tentative d’enfumage rhétorique afin de tenter de cacher l’anglicisation galopante de la troisième ville du Québec. Ensuite, celui-ci a répliqué à Mathieu Bock-Côté qui soulignait que Balarama Holness, qui recueille un appui non négligeable en tant que chef potentiel du PLQ (quoique qu’il ne soit pas candidat déclaré), misait explicitement sur les changements démographiques entrainés par l’immigration massive pour que le PLQ, à seulement 5% d’appui chez les francophones, se rapproche du pouvoir avec le temps. Outre les questions de fond soulevées par ces polémiques, l’on comprend que celles-ci sont une façon pour le PLQ de tenter de grapiller un peu de visibilité médiatique. Néanmoins, les affirmations de M.Pratte, emblématiques du discours d’une certaine élite soumise à Ottawa, ne doivent pas, à mon avis, rester sans réponse.
Dans son dernier texte dans le JdeM, M. Pratte écrit que si le PLQ « prône une hausse raisonnable de l’immigration afin de combler les besoins de main-d’œuvre », il n’appuierait cependant pas les propositions du « Century Initiative » fédéral, soit la cible de 100 millions d’habitants au Canada pour 2100.
La pénurie de main-d’œuvre et l’immigration
L’insistance à évoquer, avec un sans gêne confondant, la « pénurie de main-d’œuvre » pour justifier les hausses constantes des seuils d’immigration est plus que suspecte. D’abord parce que cette idée simpliste de « l’immigration, solution à la pénurie de main-d’œuvre » a maintes fois été démolie (par exemple, par l’économiste Pierre Fortin). Ensuite parce qu’avec le rythme actuel d’immigration au Canada, celui-ci est en très bonne voie d’atteindre 100 millions d’habitants en 2100. Les dernières projections démographiques de Statistique Canada indiquent que la population atteindra 74 millions en 2068 dans le scénario de forte croissance (les projections n’ont pas été faites jusqu’en 2100, sans doute un simple hasard). Or, le volume d’immigration prévue par le scénario de « forte croissance » est inférieur de moitié au nombre record de plus de 1 million de nouveaux arrivants (1 050 110) qui se sont installés au Canada en 2022 seulement. Si l’immigration était la solution à la pénurie de main-d’œuvre, on le saurait!
Le Canada « fait sans dire » c’est-à-dire qu’il applique les recommandations du Comité Barton (ou McKinsey) et la politique du Century Initiative même si le premier ministre Trudeau nie que ce soit le cas. Aussi étonnant que cela puisse sembler, il arrive que des politiciens ne disent pas la vérité. En immigration, cela est le cas, et autant pour le Canada de Justin Trudeau que pour le Québec de François Legault; sur cette question, les deux font dans le double jeu.
En proposant de hausser les niveaux d’immigration (à 70 000 immigrants permanents), le PLQ ne fait que suivre docilement le grand frère fédéral et avalise tacitement les propositions du Century Initiative. C’est le cas aussi pour la CAQ, qui a sur la table une proposition pour hausser les seuils à un nombre inconnu en déplafonnant le PEQ (80 000/an? 100 000/an? on ne sait pas). Reste qu’à 154 373 immigrants en 2022, le Québec a déjà un des volumes d’immigration les plus élevés au monde. Ce niveau, qui est plus du double de celui évoqué par le PLQ, illustre, par l’absurde, la nécessité d’inclure les immigrants « temporaires » dans toute discussion rationnelle portant sur l’immigration.
Les projections démographiques
M. Pratte affirme ensuite que selon les projections de Statistique Canada « même dans le cas d’une immigration beaucoup plus nombreuse qu’aujourd’hui, les immigrants et résidents non permanents ne représenteraient toujours que 27% de la population totale du Québec en 2041, contre 23% sous un scénario de faible immigration. » Première remarque, pour un démographe, cette variation de 23 à 27% est loin d’être négligeable. Et ces chiffres proviennent d’une projection de Statistique Canada effectuée en 2016, soit tout juste avant les hausses records de volumes d’immigrants qui ont eu lieu après la prise du pouvoir par les libéraux fédéraux en 2015. Le scénario « forte immigration » de ces projections est très inférieur au volume d’immigrants actuel. Notons aussi que Statistique Canada semble avoir sous-estimé le nombre d’immigrants temporaires présents au Canada de 1 million, ce qui force la question à savoir ce que valent ces projections. Quoi qu’il en soit, ces projections, effectuées avec des chiffres dépassés, sont caduques. Quels sont les bons chiffres alors? On ne le sait pas.
L’argument voulant que « des projections publiées par l’Office québécois de la langue française démontrent que même si les immigrants choisis par le Québec parlaient tous français à leur arrivée – c’est l’objectif du gouvernement Legault – cela ne changerait pas grand-chose aux grands indicateurs démolinguistiques. Le français langue maternelle continuerait de diminuer lentement – c’est le fait inexorable de la faible natalité chez les Québécois dits « de souche ».
M. Pratte nous parle de la langue maternelle (un indicateur qui reflète la vitalité passée) et « oublie » de mentionner la langue parlée le plus souvent à la maison (la « langue d’usage », soit l’indicateur qui reflète la vitalité future). S’il est exact de dire que le poids démographique des francophones au Québec (langue maternelle ou langue d’usage) va diminuer même avec une immigration 100% francophone, accueillir une telle immigration 100% francophone est tout de même le scénario qui ferait reculer le français le moins rapidement (voir p. 30).
Et le lent déclin du français n’est pas d’abord dû à la « faible natalité chez les Québécois dits « de souche » » (bonjour la tentative de culpabilisation!), mais aux transferts linguistiques massifs des immigrants allophones vers l’anglais au Québec. Mais M. Pratte, simple hasard sans doute, « oublie » aussi de nous parler des transferts linguistiques.
Comme je le relevais dans mon billet sur ce sujet : « pourquoi ce déclin du français malgré une immigration 100% francophone »? La raison majeure est bien sûr les transferts linguistiques des immigrants allophones effectués en surnombre vers l’anglais. Car « l’anglais jouit au Québec d’une vitalité supérieure à celle du français. Le milieu de vie, à Montréal, est anglicisant. Les immigrants allophones déjà présents au Québec effectuent donc en surnombre des transferts linguistiques vers l’anglais (43,3% en 2021), ce qui augmente la taille de la communauté anglophone, constituée aujourd’hui non plus des descendants des conquérants britanniques, mais d’une majorité d’allophones anglicisés. »
La natalité des Canadiens anglais est encore plus faible que celle des Québécois et, pourtant, il n’y a nulle inquiétude sérieuse sur le déclin de l’anglais au Canada, les immigrants effectuant éventuellement des transferts massifs vers l’anglais comme langue parlée à la maison (à 99%).
La « connaissance » ou le « gaslighting » fédéraliste
La vitalité d’une langue est déterminée par son usage au quotidien, à la maison et au travail. Que M. Pratte puisse écrire, en contradiction totale avec les conclusions des démographes et des démolinguistes, que, parmi tous les indicateurs linguistiques « l’élément le plus important » serait « la connaissance du français » prouve à quel point celui-ci fait dans la désinformation. Répéter une fausseté mille fois n’en fait pas une vérité. En continuant de colporter « la connaissance » comme indicateur suprême, le naufragé intellectuel Pratte touche le fond.
L’effet des changements démographiques
Quant à l’impact probable des changements démographiques sur le destin politique du Québec français, M. Holness ne fait que dire tout haut ce que tout le monde sait déjà.
Le dernier sondage Léger, par exemple, indique que seulement 12% des non francophones (note : il est malheureux que les allophones soient ainsi amalgamés avec les anglophones) appuient la souveraineté du Québec contre 81% qui sont contre. Chez les francophones, l’appui est à 44% et les contre sont à 44% également. Du point de vue fédéral, il est évident qu’augmenter le plus possible la proportion de non francophones dans la population du Québec est une police d’assurance contre un OUI à un futur référendum portant sur la souveraineté du Québec. Comme dans le cas du Century Initiative, les fédéralistes « font sans dire ». Cela ne relève pas d’une quelconque « théorie du complot », mais du déploiement de la raison d’État canadienne.
René Lévesque nous avertissait déjà, dans le JdeM du 1er mai 1972, des effets politiques de l’instrumentalisation de l’immigration par Ottawa, en commentant les résultats du recensement de 1971: « D’autre part, ici même à l’intérieur, la moindre augmentation du pourcentage anglophone, si faible soit-elle à première vue, ne peut que réduire d’autant la marge de décision démocratique de la majorité. Un cinquième du total, c’est énorme. Chaque addition a un effet d’entraînement qui, dans le grand Montréal surtout, pourrait finir par rendre politiquement irréalisable tout aspiration nationale du Québec français. »
Le recensement de 1971 avait montré une chute de 0,5% du poids des francophones au Québec. Cette chute a été trois fois plus importante entre 2016 et 2021. Que dirait-il aujourd’hui? Peut-être quelque chose du genre « vous êtes pas écoeurés de mourir »?