« Nuancer » ou noyer le poisson?

Mme Stéphanie Chouinard, pour qui j’ai beaucoup d’estime, affirme dans un article de Radio-Canada que mon analyse établissant un lien entre le surfinancement des universités anglaises au Québec et l’anglicisation en cours « manque de nuances » parce qu’elle ne tiendrait pas compte de la « langue parlée à la maison » ainsi que de « la langue de socialisation ». Elle affirme que « parce que j’utilise l’anglais au travail, dit-elle, ça ne veut pas dire que je l’utilise dans les commerces, que j’achète ma pinte de lait en anglais parce que j’ai étudié en anglais ». Selon elle, nous (Nicolas Bourdon et moi) « extrapolons les données de Statistique Canada » et que cette thèse de l’anglicisation par les études postsecondaires serait « forte en café ». Elle se range donc plus ou moins, les gros mots en moins, du côté du député libéral Francis Drouin.

Est-ce que Mme Chouinard, une ardente défenderesse des francophones hors Québec et partisane d’universités « par et pour les francophones » est réellement en train de nous dire que la langue des études postsecondaires n’est pas vraiment importante? Si oui, il s’agit d’un foudroyant recul pour les franco-ontariens qui se battent depuis des décennies pour obtenir des universités de langue française et pour en avoir le contrôle.

Radio-Canada ayant malencontreusement oublié de me contacter pour obtenir ma réaction face à ces propos afin d’offrir aux lecteurs un sain contrepoids démontrant un souci de l’équilibre journalistique, j’ai décidé de compiler ici les études qui étayent cette thèse et cette affirmation, dans un format qui permet une exposition plus détaillée que celle que permet une courte présentation de cinq minutes en comité. Voici donc.

Statistique Canada

Statistique Canada a réalisé une étude intitulée « La langue de travail des diplômés d’établissements postsecondaires de langue française, de langue anglaise ou bilingues » en 2022, étude qui établit un lien fort entre le fait d’avoir étudié en anglais au postsecondaire (au Québec et hors Québec) et l’utilisation de l’anglais comme langue prédominante de travail (voir graphique 1)[1]. Le lien existe pour les cégeps et les universités, bilingues ou de langue anglaise, dans divers domaines d’études et en fonction de la région.


[1] Je suis l’ordre des figures dans les études et non l’ordre croissant ici.

La figure 1 fait ressortir le fait qu’avoir étudié en anglais plutôt qu’en français au postsecondaire augmente la probabilité de travailler en anglais d’un facteur 5,75 pour les francophones (langue maternelle), de 2,5 pour les anglophones, de 6,6 pour les allophones et d’un facteur 12 globalement.

Le tableau 3 de cette étude est particulièrement intéressant. L’auteur a effectué des régressions logistiques et des rapports de cotes (ou de probabilité) entre certaines caractéristiques des cohortes étudiées et l’utilisation de l’anglais au travail. Ce qui est le plus fortement associé à la probabilité de travailler en anglais est la langue d’enseignement de l’établissement postsecondaire fréquenté (ligne 2 du tableau 3) où des rapports de cotes de 4,14, 4,81 et 7,00, toutes statistiquement significatives, ressortent assez spectaculairement du tableau. Le lien tient également hors Québec et les rapports de cotes sont assez similaires (tableaux 5 et 6, non montrés).

Le lien entre la langue d’étude au postsecondaire et la probabilité de travailler en anglais est indubitable et il est fort. Pour fins de comparaison, les rapports de cotes obtenus ici sont similaires à ceux qui ont été mis en évidence entre la probabilité d’avoir une maladie cardiaque et le fait de souffrir de diabète de type 2, lien que personne ne songe à remettre en question.

Les conclusions de cette étude de Statistique Canada sont les suivantes. Pour le Québec d’abord: « La présente étude montre qu’en plus du lieu de travail, du lieu où ont été faites les études et du type d’établissement fréquenté, la langue d’enseignement de l’établissement postsecondaire où a été obtenu le dernier diplôme est effectivement associée à l’utilisation prédominante de l’anglais au travail, comme le laissent entendre les études précédentes sur le sujet ».

Et hors Québec : « À l’extérieur du Québec, les communautés francophones en situation minoritaire souhaitent réaffirmer le rôle des établissements de langue française ou bilingue à la fin du continuum en éducation de langue française, alors que l’avenir de certains de ces établissements est remis en question en raison de difficultés financières. Les résultats montrent qu’il existe un lien entre la langue d’enseignement et l’utilisation du français au travail. Plus précisément, la proportion de diplômés de langue maternelle française qui travaillaient principalement en français était plus de trois fois plus élevée lorsque leur dernier diplôme provenait d’un établissement de langue française (48 %) que lorsqu’il provenait d’un établissement de langue anglaise (14 %) ».

L’auteur prend cependant soin de préciser : « L’adoption du français ou de l’anglais comme langue prédominante à la maison après avoir fréquenté un établissement postsecondaire revêt un intérêt particulier24, entre autres en qui a trait à ses conséquences sur la transmission intergénérationnelle des langues. Or, travailler dans une langue ne signifie pas nécessairement que cette langue sera parlée à la maison ». J’accorde à Mme Chouinard le fait que cette étude est faite en fonction de la langue maternelle et non en fonction de la langue parlée le plus souvent à la maison. Continuons donc à creuser.

L’Office québécois de la langue française (OQLF)

L’OQLF a rempilé sur Statistique Canada et a effectué dernièrement plusieurs études établissant des liens entre la langue d’enseignement au postsecondaire, la langue de travail et la langue utilisée dans l’espace public.

Dans « Langue des pratiques culturelles et de la scolarisation » on découvre que la langue d’enseignement (l’anglais!) est le facteur le plus important (à 42,4% suivi du « prestige » à 27,8%) pour les personnes de 18 à 34 ans qui ont choisi de faire leurs études postsecondaires en anglais au Québec (p.13). Les études postsecondaires faites en anglais au Québec jouissent d’un plus grand prestige que celles faites en français. Voilà qui met la table.

Une autre étude de l’OQLF « Langue du travail » a démontré le lien entre la langue de travail et la langue des études postsecondaires en fonction de la langue parlée le plus souvent à la maison (tableau L).

On constate au tableau L que le fait d’avoir fait ses études en anglais est associé à une augmentation d’un facteur 4,1, 1,7 et 4,0 de la probabilité de travailler en anglais pour les francophones, anglophones et allophones. Même les bilingues, ceux qui parlent à la fois français et anglais à la maison, ont une très nette tendance (facteur 2,7) à basculer à l’anglais au travail s’ils ont fait leurs études postsecondaires en anglais.

Un autre tableau (Q, page 43, non montré) croise la langue de travail avec la langue utilisée dans l’espace public et démontre qu’il existe une étroite corrélation entre les deux :  le fait de travailler en anglais multiplie par un facteur 15 la probabilité d’utiliser l’anglais dans les commerces de proximité pour les francophones par exemple. Mine de rien, avec ce facteur 15, on se rapproche du rapport de cote entre le tabagisme et le cancer du poumon.

Il est donc faux d’affirmer comme semble le faire Mme Chouinard qu’il n’y a pas de lien entre la langue des études postsecondaires et la langue de travail ou entre la langue de travail et la langue utilisée dans l’espace public; toutes ces variables sont étroitement corrélées. Par ailleurs, dans l’étude « Langue des pratiques culturelles et de la scolarisation » l’OQLF a posé la question suivante : « quelle langue préférez-vous utiliser au travail et dans l’espace public? » et nous a donné les réponses en fonction de la langue d’enseignement au postsecondaire. Les résultats sont rapportés au tableau G ci-dessous.

Les francophones de 18 à 34 ans préfèrent utiliser le français dans les commerces de proximité à 78,8% s’ils ont fait leurs études postsecondaires en français au Québec mais ce chiffre tombe à seulement 16,0% s’ils ont fait leurs études en anglais (une chute de 62,8 points!) tandis que leur préférence pour l’anglais passe de 1,2% à 28,7% (un facteur de 24!).

La question de la préférence de la personne est extrêmement intéressante. Les réponses pointent vers un basculement de l’univers culturel de référence si la personne a fait ses études postsecondaires en anglais. L’impact macroscopique est immense et indéniable.

Quelle langue parleront à la maison ceux qui préfèrent travailler ou acheter leur pinte de lait en anglais? Évidemment, le passage à l’anglais comme langue parlée à la maison ne sera pas automatique et dépendra de plusieurs facteurs, mais il y a fort à parier que la tendance sera la même que celle qui s’articule entre la langue de l’espace publique et la langue de travail. La raison en est que les gens n’ont pas une langue privée et une langue publique complètement disjointe; la plupart du temps il y a une concordance entre la langue privée et la langue publique, du moins pour les francophones et les anglophones au Québec.

L’OQLF a démontré cette corrélation entre la langue parlée à la maison et la langue de travail et celle de l’espace public. Par exemple, dans l’étude « Langue publique au Québec en 2016 » (figure 4) et la conclusion était la suivante : « Dans l’ensemble du Québec, en 2016, les francophones et les anglophones ont tendance à utiliser le plus souvent leur langue respective à l’extérieur de la maison. En effet, 90,2 % des francophones utilisent le plus souvent le français à l’extérieur de la maison et 57,4 % des anglophones y utilisent le plus souvent l’anglais ».

Une étude effectuée par Jean-Pierre Corbeil et René Houle (de Statistique Canada mais pour le compte de l’OQLF), « Trajectoires linguistiques et langue d’usage public chez les allophones de la région métropolitaine de Montréal » avait aussi conclu au lien fort (inverse) entre l’utilisation du français dans l’espace public et les études postsecondaires en anglais (p.137, Annexe 9).

IRFA

Une étude commandée à la défunte IRFA par la CSQ avait pour la première fois, en 2010, soulevé le voile entre les études postsecondaires en anglais (au cégep dans ce cas) et un ensemble de variables.

Cette étude prouvait qu’il existait un lien étroit entre la langue des études et la langue d’usage privé. Les données indiquent que les francophones, anglophones et allophones inscrits au cégep anglais utilisent moins le français comme langue parlée le plus souvent à la maison (figure 5 : chute de 26, 46 et 30,7 points).

La corrélation entre la langue parlée le plus souvent à la maison et la langue des études collégiales est particulièrement forte pour les allophones (figure 5); ceux inscrits au cégep anglais ne parlent presque pas français à la maison (4,4% seulement).

Finalement, la figure 6 démontre que la langue des études postsecondaires affecte profondément la langue de socialisation, donc la langue parlée avec les amis.

Le rapport concluait : « Les francophones du cégep anglais sont nettement moins nombreux à parler le plus souvent français avec leurs amis (51,7 %) qu’à la maison (72,9 %). Chez les anglophones et les allophones du cégep anglais, la très grande majorité fréquentent des cercles d’amis de langue anglaise. Le contraire est vrai au cégep français, où une majorité d’étudiants parlent le français avec leurs amis, peu importe leur langue maternelle. Selon notre enquête (données non présentées), les langues non-officielles sont peu utilisées avec les amis (moins de 10 % des cas, peu importe la langue d’enseignement du cégep), signe que le français ou l’anglais s’impose comme langue commune entre les jeunes de langues maternelles diverses ».

Conclusion

En conclusion, la démonstration à l’effet que les études postsecondaires en anglais sont étroitement corrélées à la langue de travail, la langue de l’espace public, la préférence de la langue de travail, les habitudes de consommation culturelles, la langue parlée à la maison, la langue de socialisation est très convaincante à mon avis.

Est-ce « une extrapolation » de dire que le surfinancement des universités anglaises au Québec est un des facteurs causant l’anglicisation du Québec (je n’ai jamais dit que cela était le seul facteur)? Non, en ce sens que c’est ce surfinancement même qui permet à un grand nombre de francophones et d’allophones de faire des études en anglais et, ensuite, de travailler en anglais et d’utiliser cette langue de façon disproportionnée dans l’espace public. C’est également ce surfinancement qui rend les études postsecondaires en anglais au Québec plus prestigieuses que celles faites en français (exemple ici).

Manque-t-on de données et d’études pour agir? Il serait bien d’avoir plus d’études, c’est certain. Par exemple, une étude de suivi longitudinal liant la langue des études postsecondaires à la langue parlée à la maison. Ou une étude liant le degré d’exposition à l’anglais à travers tout le parcours scolaire (anglais intensif en 6 ième année du primaire, profil d’immersion anglaise au secondaire, cégep et université en anglais) aux habitudes de consommation culturelle, à la langue parlée à la maison, à la langue de travail, à la langue de socialisation et celle de l’espace public.

Mais à mon avis, le portrait brossé avec les études disponibles est accablant. La langue des études postsecondaires à un grand impact sur la trajectoire de vie. Assurer la complétude institutionnelle du postsecondaire de langue française au Québec aurait vraisemblablement un grand impact sur la vitalité du français. Tout pointe donc vers la nécessité impérieuse d’imposer la loi 101 non seulement au cégep mais à l’ensemble du postsecondaire, ce qui constitue une façon d’assurer la complétude institutionnelle.

Plutôt que de « nuancer », Mme Chouinard tente donc de noyer le poisson. Et ce faisant, elle scie la branche sur laquelle les franco-ontariens sont assis.

La présentation « pleine de marde » au Comité permanent sur les langues officielles

Voici le support visuel de ma présentation du Comité permanent des langues officielles du lundi 6 mai 2024 à Ottawa. J’ai pris soin, à l’oral, de spécifier que si le surfinancement fédéral n’était qu’un des facteurs impliqué dans la mécanique du recul du français via les universités anglaises (Québec, le privé, la politique d’immigration étant également responsables, etc), c’était tout de même un facteur important étant donné les sommes en jeu (des centaines de millions de dollars par année).

#PleindeMardeGate

Lors de mon témoignage au Comité permanent des langues officielles à Ottawa le 6 mai 2024, j’ai eu le bonheur dubitatif de me faire traiter de « plein de marde » et « d’extrémiste » par un député libéral. Ce qui a déclenché l’ire du député est ma mise à nu de l’hypocrisie fédérale qui s’appuie sur le concept frauduleux de « double majorité » (une majorité anglophone hors Québec et une majorité francophone au Québec), tirée de la Loi sur les langues officielles, afin de favoriser de façon outrancière les universités anglaises au Québec, ce qui contribue directement au recul du français au Québec. Voici une série d’articles couvrant l’affaire:

https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2024-05-08/temoins-traites-de-pleins-de-marde/les-propos-de-francis-drouin-continuent-a-faire-reagir.php

https://www.journaldemontreal.com/2024/05/10/francis-drouin-a-raison-cest-pas-mal-extremiste#cxrecs_s

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/812717/idees-preuve-insulte

https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/812718/chronique-ignorance-linguistique-crasse

https://www.journaldemontreal.com/2024/05/08/les-pleins-de-m

https://www-nocache.tvanouvelles.ca/2024/05/07/comite-sur-les-langues-officielles-scusez-moi-la-mais-vous-etes-un-plein-dm-lance-un-liberal-en-comite

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/812720/idees-je-suis-bilingue-donc-tout-va-bien

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2070719/depute-drouin-comite-langues-officiells-temoins

Entrevue avec Mathieu Bock-Côté à QUB:

L’OQLF en décalage

Le vendredi 12 avril, soit huit jours exactement après la publication d’une étude clamant que « l’usage du français dans l’espace public est stable », l’OQLF a émis, chose rare, un communiqué de rectification (ici). Étrange communiqué s’il en est.

Dans celui-ci, l’Office affirme que la pondération du sondage a bien été faite à partir des données du recensement de 2021 alors qu’elle avait répondue à Jean-François Lisée quelques jours auparavant que c’étaient les données 2016 qui avaient été utilisées pour faire cela. Étant donné que le poids démographique relatif des francophones (langue maternelle) a reculé de 1,7 point entre 2016-2021 (un recul sans précédent depuis 1871), cette surpondération des francophones avec les données de 2016 n’aurait pas permis de conclure à une « stabilité » de l’usage du français.

Cette séquence permet de constater que la confusion sur les détails méthodologiques règne à l’interne à l’Office. Ces « détails » constituent pourtant le cœur de la mission de l’Office et fondent sa crédibilité. On aurait envie de savoir si, pour cette étude qui vient d’être publiée, de l’expertise interne est encore disponible à l’Office ou si c’est le sous-traitant privé (SEGMA recherche) qui a effectué le travail et l’Office se serait contenté de publier les résultats?

L’Office écrit dans ce communiqué, et c’est notable, qu’elle « diffuse des données sur les langues utilisées dans l’espace public depuis 2007 dans le cadre de son mandat ». Notons le vocabulaire employé; elle « diffuse » des données. L’Office aurait pu écrire qu’elle « produisait » des données et des analyses, mais a choisi un d’employer un verbe qui implique un rôle passif. Détail sans doute, mais détail peut-être révélateur d’un certain état d’esprit. La question se pose sur le niveau de l’expertise interne disponible aujourd’hui à l’Office; la situation y est-elle similaire à celle qui règne, disons, en informatique au gouvernement?

De plus, l’indication de l’année 2007 est une façon oblique, sans doute, d’écarter la critique voulant qu’elle ait ignoré l’étude de Paul Béland sur la langue de l’espace public réalisée en 1997. La prise en compte de cette étude aurait inversé la conclusion de l’Office, qui aurait alors été forcée d’écrire qu’il y avait un « déclin du français comme langue de l’espace public ». Cette étude de Béland a été effectuée non pour le compte de l’Office, c’est vrai, mais pour celui du Conseil de la langue française. Cela relève cependant du détail administratif alors que l’Office spécifie avoir inclus les données d’une étude du Conseil de 2010 et prend également soin d’écrire que le questionnaire utilisé pour le sondage de 2022 « a été conçu à partir de ceux d’études antérieures menées par l’Office (en 2016) et par le Conseil supérieur de la langue française (en 2010 et en 1997) » (p.42). L’exclusion des données de 1997, pourtant prises en compte lors de la mise sur pied du questionnaire de l’étude, est donc étrange.

Et c’est tout pour cette « rectification ». On n’y trouve aucune explication sur les taux excessivement élevés de non réponse et leur effet potentiel sur les biais du sondage, aucune explication sur le déclin massif de l’anglais enregistré pour le sondage de 2022, aucune explication sur la prise en compte ou non des immigrants temporaires (qui ont pourtant rajouté 2% de non-connaissant-le-français à la population dans les dernières années!), aucune explication de l’incohérence entre ce résultat et le reste de l’ensemble du portait démographique et linguistique. Tout ce que l’on a comme mea culpa de l’Office est cette phrase laconique : « L’Office est bien conscient du décalage entre le portrait sociodémographique du Québec au moment de la collecte des données réalisée à l’hiver 2022 et celui de 2024 ».

Un « décalage »? C’est le moins qu’on puisse dire.

Youpi, le français langue publique est stable!

L’Office québécois de la langue française (OQLF) vient de frapper fort en publiant une étude qui conclue que non seulement l’usage du français dans l’espace public serait demeuré stable depuis 2007, mais qu’en même temps, l’usage de l’anglais aurait diminué!

Que voilà une excellente nouvelle totalement inespérée!

Cette stabilité du français comme langue d’usage public depuis 2007 est d’autant plus remarquable que, sur la période 2006-2021, la proportion de francophones, langue maternelle, a chuté de 3,3% et celle de francophones, langue parlée le plus souvent à la maison, a reculée de 2,7% au Québec. La proportion de francophones, la seule population qui utilise massivement le français dans l’espace public, est en chute libre mais cela n’affecte pas l’usage du français. Impressionnant.

En même temps, le nombre de ceux qui ne connaissent pas le français au Québec est en augmentation constante. Ainsi, selon le Commissaire à la Langue française, le nombre d’immigrants temporaires est passé de 86 065 en 2016 à 528 034 en 2023. Environ le tiers de ces immigrants ne connaissent pas le français et ils forment actuellement environ 6% de la population du Québec. Depuis 2011, la part de la population qui ne connaît pas le français a augmenté de 52 % et celle de ceux qui travaillent en anglais de 41 %. La connaissance du français chez les anglophones a aussi reculé au recensement 2021, passant de 68,8% à 67,1%, soit une chute de 1,7 point (et la première chute de cet indicateur depuis des décennies).

Quand on met tout ça ensemble, la résistance du français comme langue d’usage public, alors que l’on assiste à un effondrement de la proportion de francophones et à l’augmentation de la non connaissance du français et de l’unilinguisme anglais au Québec, est absolument remarquable. De 2016 à 2022, l’usage public du français aurait même augmenté de 0,3% selon le sondage de l’OQLF, durant une période pourtant marquée par l’explosion du nombre de non locuteurs de français.

Encore plus frappant dans ce sondage est la diminution de l’usage de l’anglais comme langue public de 2016 à 2022, usage qui est passé de 11,4% à 8,2%, soit un déclin massif de 3,2 points. Celui-ci avait pourtant augmenté de 1,4 point de 2007 à 2011. La proportion d’anglophones a pourtant augmenté de 2006 à 2021 selon les données de recensement, passant de 8,2% à 8,8% (langue maternelle) et de 10,6% à 10,7% (langue parlée le plus souvent à la maison). Alors que les anglophones sont très peu nombreux à utiliser le français comme langue publique, l’augmentation de la proportion d’anglophones dans la population est corrélée à une diminution de l’anglais comme langue publique. Formidable!

Trêve de plaisanteries.

En général, si c’est trop beau pour être vrai… c’est que ce n’est pas vrai. Fin du rêve éveillé.

Alors que tous les indicateurs linguistiques pour le français sont en recul et que l’anglais au Québec est pétant de santé, ce sondage vient fournir une donnée aberrante à un portrait qui est autrement cohérent. En science, en l’absence de données supplémentaires qui vont dans le même sens, un point discordant sur une courbe sera interprété plus souvent qu’autrement comme une erreur de mesure. Il y a tout lieu de croire que c’est le cas avec ce sondage. Sur Facebook, le démographe Guillaume Marois s’est d’ailleurs livré à une critique de sa méthodologie (ici) en soulignant que le taux de non réponse pour le sondage de 2016 était de 54% et qu’il atteignait 77% pour celui de 2022 (ici).

Ces taux de non réponse extrêmement élevés sont susceptibles d’induire un biais dans l’échantillon, qui n’est alors plus aléatoire. Il est fort probable que, dans ces sondages de l’OQLF, le taux de non réponse pour les allophones et les anglophones soit beaucoup plus élevé que pour les francophones. Tout ceci n’est pas considéré dans la petite section traitant de méthodologie de l’étude, qui est d’ailleurs fort mince. Le sondage a d’ailleurs été sous-traité à une firme privée.

Notons que plusieurs revues (comme le Journal of the American Medical Association) obligent à caractériser les non répondeurs afin d’évaluer les biais potentiels d’un sondage dès que le taux de non réponse dépasse un certain seuil variant entre 20 et 40%. L’absence de ce type de précaution méthodologique élémentaire est suffisante pour faire rejeter d’emblée un article. Le sondage de l’OQLF n’aurait donc jamais pu être publié dans une revue avec révision par les pairs.

Sur X, le ministre de la Langue française, en partageant l’étude de l’OQLF, a attribué la « stabilité » de l’usage du français aux « politiques favorisant l’utilisation du français », référant sans doute à celles mises en place avec la loi 96. La loi 96 a cependant été adoptée seulement en juin 2022 et plusieurs de ses articles ne sont même pas encore en application. Est-ce le débat entourant la loi 96, qui faisait rage à l’époque de la collecte de données du sondage (mars et mai 2022), qui a fait raccrocher de nombreux anglophones face à un sondage commandité par l’OLQF? Ceci aurait pu causer le biais dans les données qui transparait dans la chute remarquable de l’usage de l’anglais entre 2016 et 2022. Voilà qui serait logique.

L’OQLF aurait aussi pu remonter jusqu’à 1997 et non 2007 dans son suivi longitudinal de la langue d’usage public et inclure la première étude réalisée par Paul Béland pour le Conseil de la langue française. Cette étude avait trouvé que le français était utilisé alors globalement 85% du temps au Québec, l’anglais 11% et l’anglais et le français seulement 3% du temps. Mais au lieu de conclure à une « stabilité » de l’usage du français, l’OQLF aurait été alors forcé d’écrire qu’il y avait, depuis 1997, un déclin de l’usage du français globalement au Québec et que ce déclin était particulièrement marqué sur l’île de Montréal (-6 points depuis 1997).

Ce n’est pas la première fois que l’OQLF nous fait le coup d’annoncer une fausse « stabilité » dans les données linguistiques. La dernière fois était en 2018, sous un gouvernement libéral. L’OQLF avait alors clamé, en se basant sur le même type de sondage que celui qu’ils viennent de publier, que « l’usage du français au travail est à peu près stable depuis près de 20 ans ». Ce qui était parfaitement faux, comme les données du recensement 2016, publiées une semaine plus tard, avait démontrées. Une série historique sur la langue de travail publiée par Statistique Canada démontre clairement que le français comme langue de travail se casse la gueule au Québec depuis 20 ans.

Malheureusement, Statistique Canada ne mesure pas la langue d’usage public. Si l’OQLF veut vraiment mesurer cet indicateur de façon rigoureuse, elle pourrait faire affaire avec une firme de sondage plus sérieuse, comme Léger, qui semble avoir fait un effort pour constituer des panels avec sélection aléatoire. Ou bien l’OQLF pourrait innover et au lieu d’y aller avec des questionnaires rétrospectifs, une méthode abandonnée dans plusieurs domaines car trop sensible aux biais, se baser, par exemple, sur la langue réellement utilisée dans les services de santé ou d’autres services publics.

Bref, alors que le déclin du français est évident comme jamais dans notre histoire, l’amateurisme de l’OQLF est non seulement gênant, il devient franchement inacceptable. Le commissaire à la Langue française, qui est indépendant du gouvernement, devrait se pencher sur ce dossier.

Brian Myles et « l’amour du français » : retour au Canada français

Dans son éditorial du 6 janvier 2024, intitulé « Pour l’amour du français », Brian Myles commet un texte qui étonne venant du directeur du Devoir.

S’il débute de façon convenue en affirmant que « La question n’est pas de savoir s’il faut protéger le français au Québec et au Canada […] », il gâche aussitôt l’effet en écrivant « […] mais plutôt de savoir comment y parvenir dans le respect des droits des minorités ». Les minorités? Les anglophones constituent-ils réellement une « minorité » dans l’esprit de M. Myles?

D’emblée, la table est mise : la majorité francophone est soupçonnée d’être oppressante et la « minorité » anglophone, amalgamée aux autres minorités, serait « opprimée ». Voilà une ligne qui aurait certes sa place dans n’importe quel texte émanant de The Gazette et de Cult MTL, mais dans le Devoir?

Examinons son texte d’abord sur le plan des faits, et ensuite sur celui de l’argumentation.

Les faits

Il est absolument faux de prétendre, comme le fait M. Myles, que les « pessimistes » s’accrocheraient à l’indicateur « langue maternelle » comme l’alpha et l’oméga de tous les indicateurs linguistiques. Cela est une caricature.

L’indicateur langue maternelle, comme l’écrit justement le démographe Marc Termote, représente la dynamique passée, tandis que la langue parlée le plus souvent à la maison, qui sera la langue transmise aux enfants en tant que langue maternelle, représente celle du présent et de l’avenir. Ces deux indicateurs fondamentaux fournissent des informations complémentaires, certes, mais sont croisés avec d’autres indicateurs (tels que la langue de travail, la dynamique d’inscription dans les cégeps et universités, etc.) pour brosser un portrait d’ensemble de la dynamique linguistique.

Ce qui ressort de façon éclatante des données du recensement de 2021, c’est que TOUS les indicateurs issus du recensement canadien (langue maternelle, langue parlée à la maison, langue de travail, connaissance, etc.) reculent pour le français à la grandeur du Canada. Toutes les données convergent dans une seule direction : un recul du français et une avancée de l’anglais au Québec comme partout au Canada (voir ce billet de blogue détaillant les résultats du recensement de 2021).

M. Myles prétend que la connaissance du français au Québec serait « stable » à 93,7%. Faux. La connaissance du français a reculé au dernier recensement (de 94,5% à 93,7%), ce qui n’était pas arrivé depuis au moins trente ans. Alors que la connaissance de l’anglais au Québec poursuit sa hausse pour atteindre 51,7% en 2021, la connaissance du français par les anglophones a baissé fortement entre 2016 et 2021, soit de 1,7 point. Ce niveau de connaissance est rendu à 67,1%, ce qui signifie que quasiment un anglophone sur trois ne connait pas le français au Québec! Comme la connaissance du français chez les francophones est présumée être universelle, et que ceux-ci constituent la grande majorité de la population du Québec (79,1% selon la langue parlée à la maison), ce 93,7% dont on nous rabat les oreilles est un chiffre artificiellement gonflé par le fait que ce qu’il indique, largement, est que les francophones parlent français!

Charles Castonguay a démonté l’utilisation malhonnête de cet indicateur de connaissance par Michel C. Auger dans son livre 25 mythes à déboulonner en politique québécoise dans ce texte. Brian Myles suit ici les traces de Michel C. Auger. Le chiffre pertinent, à mon avis, si l’on veut s’en tenir à la « connaissance », est celui de la connaissance du français par les anglophones. Qui recule. Ou de l’anglais par les francophones. Qui avance sans cesse.

M. Myles, en agitant le grelot de la « connaissance » reprend aussi, mot à mot et dans son intégralité, la ligne argumentaire d’André Pratte dans sa « réfutation » à mon texte « L’anglicisation de Laval ». M. Pratte prétendait aussi que la connaissance du français à Laval était « stable ». Or, l’indicateur de connaissance du français à Laval recule depuis vingt ans (texte ici). M. Myles tombe dans le même panneau que M. Pratte.

Et surtout, il faut souligner que la connaissance d’une langue n’équivaut pas nécessairement à son usage (voir ici). Pour apprécier correctement la dynamique linguistique, c’est le portrait de l’usage qui importe. M. Myles ne peut ignorer, en tant que directeur du Devoir, un fait aussi fondamental.

La forme.

M. Myles écrit que « Les pessimistes entrevoient le déclin du français comme langue maternelle tel un signe précurseur d’une inéluctable « louisianisation » du Québec ». Passons sur la fixation sur la langue maternelle qui relève de la caricature et notons l’utilisation du vocable « pessimiste » qui induit en erreur en faisant croire que l’appréciation de la situation linguistique serait une simple question de tempérament.

Mais celle-ci n’est pas une question de voir le verre « à moitié plein » ou « à moitié vide ». Il s’agit plutôt de déterminer si la place occupée par le français au Québec, relativement à l’anglais, augmente, reste stable ou diminue. C’est l’anglais qui menace le français au Québec (comme partout au Canada) et non les langues (non officielles) des minorités.

Néanmoins, cette dichotomie simpliste entre pessimistes et non pessimistes permet de créer ex nihilo deux camps opposés, ce qui permet à M. Myles de se placer en surplomb au-dessus de la mêlée. Voilà qui est commode. Le sophisme du faux dilemme entre les « néoconservateurs » passéistes souhaitant un repli sur un Canada français et ceux qui auraient une pensée « pluraliste » et « ouverts au métissage et à la diversité » permet également de nous faire comprendre, tel un petit catéchisme, à quel camp il faudrait appartenir.

M. Myles écrit que « Après tout, c’est dans l’espace public, plutôt que dans la sphère privée du foyer, qu’une politique linguistique produit l’effet recherché ». L’affirmation selon laquelle il faudrait détourner son regard de la sphère privée est une forme de restriction mentale, une invitation à tronquer la réalité afin d’arriver plus facilement aux conclusions souhaitées par certains. Cette affirmation est une pure invention et n’a aucun lien avec les objectifs de la Charte de la langue française. Il est spécifié dans le Livre blanc, par exemple, que la Charte a été conçue afin « d’orienter les options linguistiques des immigrants », ce qui signifie qu’elle a pour but ultimement de faire en sorte qu’ils deviennent des francophones plutôt que des anglophones par suite d’une substitution linguistique (qui est quasi inéluctable au Canada après deux générations).

Cette opposition entre sphère privée et sphère publique relève aussi d’une tentative d’enfumage. Pourquoi? Parce que l’indicateur de « français langue publique » n’est pas un indicateur issu du recensement, n’est pas l’objet d’un suivi régulier, est sujet à des changements de méthodologies et peut donc difficilement servir d’indicateur de suivi longitudinal. La dernière publication de l’OQLF à ce sujet date de 2016 et le suivi longitudinal contenait… deux points seulement, un en 2007 et l’autre en 2016. Marc Termote fait une critique éclairante de l’indicateur langue d’usage publique ici (p.21). Bref, non seulement cet indicateur n’est pas fiable, mais on peut affirmer qu’il n’existe pas vraiment. Voilà qui est encore bien commode.

C’est la Commission Laurendeau-Dunton, une commission fédérale qui a duré dix ans et mobilisé des milliers de chercheurs au Canada dans les années soixante, qui a recommandé l’ajout d’une question sur la langue parlée à la maison au recensement de 1971 afin d’obtenir un éclairage sur l’assimilation courante des francophones au Canada. La commission Laurendeau-Dunton se serait donc fourvoyée?

Finalement, M. Myles, en écrivant « […] nous ne pourrons blâmer l’Université McGill, ou les Québécois de la minorité anglophone, si nous ne parvenons pas à entretenir et à raviver la fierté commune d’appartenir à une langue et à une culture inclusives » (voici l’aveu selon lequel les anglophones seraient une « minorité »!), en appelle indirectement au renouveau des campagnes du « bon parler français » pour éviter de dénoncer la surcomplétude institutionnelle anglophone qui assure l’essor et la vitalité éclatante de l’anglais à Montréal (et le recul du français).

Nous aurons beau être aussi « fiers » que nous voulons, cela ne compensera jamais les milliards investis par Québec et Ottawa pour assurer la domination de l’anglais dans le système d’enseignement supérieur (ou en santé, ou dans les grandes entreprises, etc.) à Montréal. M. Myles en appelle ici, de façon risible, au triomphe de la volonté sur les faits objectifs, une stratégie longtemps utilisée au Canada français pour dépolitiser la question linguistique et détourner le regard du fondement politique et économique de notre infériorité linguistique. Le dispositif institutionnel collectif écrase la volonté individuelle. La reprise en main de la Révolution tranquille émanait de la prise de conscience de cette réalité.

Avec cet éditorial, on comprend enfin pourquoi le Devoir a été incapable de prendre position clairement en faveur d’une mesure aussi évidente, aussi urgente que l’imposition de la loi 101 au cégep. Une mesure réclamée par une majorité de citoyens, incluant une majorité des professeurs au collégial.

En résumé, M. Myles propose donc, sur la question linguistique, un retour aux bonnes vieilles stratégies inefficaces et inoffensives (pour le régime canadien) d’avant la Révolution tranquille, un retour au Canada français donc.

Et si le « passéiste », c’était lui?

Beaucoup de bruit pour rien

Un bilan de la saga de l’augmentation des frais de scolarité pour les canadiens non-résidents 

L’annonce

Le 13 octobre 2023, la ministre de l’Enseignement supérieur Pascale Déry annonçait une refonte de certains volets de la politique de financement des universités.  Cette refonte visait deux objectifs principaux: 1) faire en sorte que les étudiants canadiens non-résidents venant étudier dans les universités du Québec le fassent à coût net nul pour l’État québécois et 2) rétablir une péréquation interuniversitaire de façon à ce que le pactole récolté des étudiants étrangers par les universités anglaises (quelques 282 millions de dollars par année, soit 69% du total généré par l’ensemble des universités au Québec) bénéficie à l’ensemble du réseau universitaire québécois.

Deux objectifs principaux mais également, semble-t-il, un objectif connexe; au cours de la conférence de presse tenue le 13 octobre, le ministre de la langue française Jean-François Roberge a affirmé que cette mesure visait aussi à « freiner le déclin du français ». Pour que la mesure ait cet effet, cependant, il faudrait que le nombre de canadiens non-résidents qui vient étudier à McGill, Concordia et Bishop’s (plus de 11 000 personnes/an) diminue substantiellement. Cependant, il est loin d’être certain qu’une hausse des frais de scolarité, même significative, aurait un impact suffisant pour « freiner le déclin du français » étant donné que les frais de scolarité ne constituent qu’une des variables dans la décision de s’inscrire dans une université ou non (le coût de la vie, la réputation, le programme, etc., sont également des paramètres importants). Afin que la baisse de la clientèle de canadiens non-résidents constitue un objectif clair de la mesure annoncée, il aurait fallu que le gouvernement impose, par exemple, un contingentement du nombre d’étudiants canadiens non-résidents financés chaque année. Le niveau de contingentement aurait pu être déterminé à l’aide d’une clause de réciprocité avec les provinces anglaises; le Québec pourrait financer, par exemple, un nombre égal d’étudiants canadiens non-résidents dans les universités anglaises à celui des étudiants québécois que les provinces hors Québec financent dans des programmes en français. Cela aurait eu l’avantage de révéler au grand jour l’ampleur titanesque de la disproportion qui est en jeu pour ce qui est de l’accès à l’enseignement universitaire dans la langue de la « minorité » au Canada.

Cet objectif « ad hoc » linguistique semble donc avoir été greffé, sans préparation sérieuse, a posteriori, sur une mesure visant essentiellement des objectifs comptables. Cela reflète probablement le fait que le « Groupe d’action sur l’avenir de la langue française » de la CAQ, qui était supposé annoncer un « plan d’action » cet automne, semble être incapable de justement passer à l’action. Le ministre de la Langue française a-t-il profité de l’annonce de la ministre de l’Enseignement supérieur pour tenter d’insuffler un semblant de vie à ce « Groupe d’action »?

Quoi qu’il en soit, cette refonte de la politique de financement universitaire est le résultat d’un engagement pris par la ministre Déry en juin 2023 par suite de nombreux articles parus dans les médias en 2022-2023, articles qui détaillaient l’iniquité du financement universitaire qui règne en fonction de la langue d’enseignement au Québec. Par exemple, le chercheur Martin Maltais a évalué que les canadiens non-résidents, ainsi que certains étudiants internationaux (comme les Français et les Belges qui bénéficient d’ententes avec le Québec) inscrits dans les universités anglaises nous coûtaient 200 millions de dollars par année collectivement. J’ai calculé, dans « Pourquoi la loi 101 est un échec » (p.163, Boréal, 2020) que la scolarisation des canadiens non-résidents à McGill, Concordia et Bishop’s nous coûtaient plus de 100 millions de dollar par année. Une somme qui sert, au final, à diplômer des non Québécois dans des programmes en anglais et à angliciser Montréal. L’atteinte de l’objectif numéro 1 de la mesure Déry signifie que le Québec cesserait de payer le coût pour son anglicisation via les étudiants universitaires non québécois. Cependant, le Québec continuera de s’angliciser tout de même par le biais des universités anglaises, à moins que la proportion d’étudiants inscrits dans celles-ci ne baisse.

Quant à péréquation interuniversitaire, elle a été abolie en 2018 sous Philippe Couillard en même temps que les frais de scolarité pour les étudiants internationaux étaient dérèglementés, ce qui a constitué un cadeau princier fait aux universités anglaises. Ces mesures ont été prises en même temps que M. Couillard faisait don du Royal Victoria à McGill, un don d’une valeur estimée à un milliard de dollars. Dans la mesure Déry, la péréquation interuniversitaire serait rétablie grâce à l’imposition d’un tarif plancher pour les étudiants internationaux, assorti de la récupération d’un montant forfaitaire. Ce montant forfaitaire serait reversé aux universités de langue française.

Afin d’atteindre le premier objectif, les frais de scolarité chargés aux canadiens non-résidents devaient passer de 9 000$/an à 17 000$/an en moyenne, soit une augmentation de 89%. Le deuxième objectif serait atteint en imposant un prix plancher de quelque 20 000$/an aux étudiants internationaux (et un montant forfaitaire qui est à déterminer).

Voilà la refonte initialement annoncée par la ministre Déry. Une mesure simple, logique, et qui se défend bien : le Québec est-il en effet assez riche pour financer la scolarité universitaire des jeunes anglophones non-résidents, en anglais qui plus est? Cela pourrait potentiellement se justifier s’il y avait hors Québec une contrepartie à cette « générosité », c’est-à-dire si les provinces anglaises finançaient les études en français de quelque 11 000 québécois par année dans leurs universités françaises. Mais ce n’est hélas pas le cas, les moignons de facultés et les bouts de programmes en français hors Québec étant systématiquement sous-financés et asphyxiés financièrement dans les provinces à majorité anglaise. Pour donner un seul exemple de ce qui pourrait être une longue liste : l’Université de l’Ontario français (la seule université en Ontario qui ne soit pas bilingue) n’accueillait que 233 étudiants en septembre 2023, ce qui équivaut à 0,3% des effectifs des universités anglaises du Québec. Ce n’est pas comme si, non plus, les francophones constituaient une élite surdiplômée qui pouvait sacrifier une partie de ses ressources à tenter de hisser les anglophones à son niveau; aujourd’hui encore, les francophones au Québec sont toujours 40% moins nombreux, proportionnellement, que les anglophones à détenir un diplôme universitaire (p.136 « Pourquoi la loi 101 est un échec »).

Le surfinancement des universités anglaises au Québec

Les universités anglaises du Québec accueillent quelque 25% de l’effectif universitaire et reçoivent environ 30% des fonds globaux des universités, et ce, même si la communauté anglophone du Québec ne représente que 8,8% de la population du Québec (langue maternelle). Il existe donc une « surcomplétude institutionnelle », c’est-à-dire que les institutions anglaises sont très nettement surdimensionnées relativement au poids démographique de la communauté anglaise (p.53 « Pourquoi la loi 101 est un échec »). Ce surdimensionnement est d’un facteur 2,8 pour ce qui est des effectifs et d’un facteur 3,4 pour ce qui est du financement.

La disproportion est encore pire si on considère seulement la partie des fonds provenant d’Ottawa; ainsi, les anglophones touchent 38,3 % de ces fonds tandis que les francophones en récoltent seulement 61,7 %. Les anglophones bénéficient donc de 4,7 fois leur poids démographique du financement reçu d’Ottawa tandis que les francophones sont financés en deçà de leur poids démographique.

Les universités anglaises du Québec sont si hypertrophiées qu’elles n’accueillent qu’une petite minorité  d’«ayants-droit » (23,6%) c’est-à-dire d’étudiants qui sont membres de la communauté d’expression anglaise en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette proportion est de 17,1% à McGill, de 29,7% à Concordia et de 22,3% à Bishop’s. La majorité de la clientèle des universités anglaises est ainsi constitué d’étudiants internationaux, d’étudiants québécois non ayants-droit (des allophones et francophones), ainsi que de canadiens non-résidents.

Le respect du principe de la complétude institutionnelle voudrait que la proportion du financement accordé aux anglophones soit égale à leur poids démographique (soit moins de 10 %). Cela est loin d’être le cas. On peut calculer que  la somme manquante totale aux universités de langue française afin d’assurer leur complétude institutionnelle (90% des revenus) était de 1 466 millions de dollars par année en 2017.

Cette surcomplétude institutionnelle anglophone a des conséquences majeures sur la dynamique linguistique de Montréal et du Québec tout entier. Il a été établi par Statistique Canada, par exemple, que la langue des études postsecondaires détermine dans une large mesure la future langue de travail des étudiants. Un constat qui a été renforcé par une étude récente de l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui a démontré que les études postsecondaires en anglais pesaient lourdement sur la langue d’usage publique. Les universités anglaises constituent des foyers d’anglicisation majeurs au Québec et un moteur de l’assimilation de francophones et allophones à la communauté anglaise (gain d’un point pour l’anglais en tant que langue parlée le plus souvent à la maison entre 2016 et 2021).

De plus, la disproportion entre l’effectif (25%) et le revenu global (30%) met en lumière une iniquité supplémentaire; il s’agit du financement par étudiant (étudiant équivalent temps plein ou EETP). Au Québec, un étudiant qui choisit d’étudier en anglais est mieux financé, dispose de plus de ressources, qu’un étudiant qui choisit un programme en français. Globalement, les universités anglaises disposaient de 16 095 $ par étudiant équivalent temps plein (EETP) en 2017 tandis que les universités de langue française n’avaient que 12 507 $ par EETP, une différence 3 588 $ ou 28,7 %.

À l’injustice « macroscopique », sociétale, d’une sous-complétude institutionnelle pour les universités de langue française s’ajoute une autre injustice qui frappe les étudiants au niveau individuel. Ceux qui choisissent de poursuivre leurs études universitaires en anglais jouissent d’un avantage structurel par rapport à ceux qui poursuivent leurs études en français.

Voilà le problème titanesque auquel la refonte annoncée de la politique de financement universitaire s’attaquait en partie. En très petite partie seulement car l’effet estimé du rétablissement de la péréquation serait de reverser environ 100 millions de dollars par année aux universités françaises, ce qui est très loin de la somme qui serait requise pour abolir la sous-complétude institutionnelle qui les frappe, qui serait plutôt quinze fois plus importante (1,5 milliard de dollars).

Pour un tour d’horizon plus complet de cette question, on pourra se référer à cet article de Pierre Fortin, ou à « Au Québec, les universités anglaises sont favorisées » (Action nationale, Septembre 2021).

La réaction du Canada anglais

Cette annonce de la ministre Déry a mis en branle une vigoureuse réaction, proche de l’hystérie, au Canada anglais; les médias comme The Gazette, The National Post, The Globe and Mail ont lancé une campagne intensive visant à faire renverser cette décision. The Gazette s’est particulièrement distinguée en publiant quasiment un texte par jour sur le sujet pendant tout l’automne à partir du 14 octobre dernier. Voici un florilège des textes publiés:  « catastrophic », « I love Quebec, but it doesn’t love me », « Legault wants to kill Quebec’s English universities », « shortsighted, mean-spirited and, from an economic vantage point, completely idiotic », « targeted attack », « existential risk »,  « Legault farting in Canada’s direction ».

Dans ces textes, tout y passe : vulgarité, exagération, subtilité nulle et absente, tentatives d’intimidation, manipulation émotive, vocabulaire militaire et agressif, etc. Le manque de respect, de considération élémentaire envers le Québec est total. L’idée que la mesure puisse être justifiée n’est jamais évoquée un seul instant. Y a-t-il eu un seul texte dans les médias canadiens anglais qui admette que les universités anglaises au Québec sont bel et bien surfinancées et que les universités françaises sont sous-financées?

Malheureusement, la contre-réaction n’est pas venue uniquement du Canada anglais. Tout un pan de l’élite québécoise s’est aussi mobilisé pour faire annuler la mesure. Les députés du Parti libéral du Québec/Quebec Liberal Party sont entrés en campagne et, en particulier, il faut souligner l’activisme de la députée Marwah Rizqy, qui s’est investie sans compter pour faire reculer le gouvernement. Mentionnons également le recteur de l’Université de Montréal, Daniel Jutras, qui s’est empressé, de façon étonnante, de défendre McGill. Ce faisant, M. Jutras a agi contre les intérêts de l’institution qu’il prétend représenter, institution qui bénéficierait du rétablissement de la péréquation interuniversitaire. Les recteurs des universités françaises dotés d’une faculté de médecine (Sherbrooke, l’Université de Montréal, Laval) se sont également prononcés contre la mesure. Seuls les recteurs des composantes de l’Université du Québec se sont exprimés en sa faveur. Cela a pu nous faire constater qu’une bonne partie du système universitaire de langue française au Québec est « satellisé » et évolue dans l’orbite idéologique de McGill University.

Il est parlant que seule l’université la plus mise à mal par l’actuelle politique de financement, et une université « minore », non dotée d’une faculté de médecine (l’UQAM), ait osé rompre les rangs du consensus en faveur du statu quo.

Même les syndicats, faisant fi des iniquités en fonction de la langue qui résultent des politiques de financement, sont montés au créneau pour défendre McGill sous couvert hypocrite de dénoncer la « marchandisation » de l’éducation.

La capitulation

La vigueur de la réaction du Canada anglais, l’activisme d’une partie importante de notre élite politique, syndicale et universitaire en faveur de la défense des privilèges des anglophones, le manque de préparation et de cohérence du gouvernement du Québec pour ce qui est des objectifs visés par la refonte ont eu rapidement raison de la mesure initialement annoncée.

Les universités anglaises ont habilement manœuvré en se servant de l’objectif « ad hoc » greffé par le ministre de la Langue française (que la mesure freine le déclin du français) pour faire échec à l’objectif numéro un, soit l’atteinte d’un coût net nul pour les étudiants canadiens non-résidents. Leur manœuvre a consisté à proposer de « franciser » une partie (40%) de leurs étudiants non québécois en échange de l’abandon par le gouvernement de la hausse des frais de scolarité. Ce qui est entendu par « francisation » est l’atteinte, à l’oral seulement, d’un niveau intermédiaire (soit niveau 6) de français.

Deux mois après l’annonce initiale, la ministre Déry a donc reculé en bonne partie et a annoncé (sur X) que les frais de scolarité chargés aux canadiens non-résidents seraient de 12 000$/an en moyenne (et non 17 000$/an), soit une augmentation du tiers seulement (et seulement pour les étudiants de premier cycle). De plus, Bishop’s est entièrement exclue de cette augmentation.

L’objectif numéro un de la refonte a donc été abandonné; le Québec continuera de financer – sans restriction quant au nombre – les études des canadiens non-résidents dans les universités anglaises. Il s’agit, malgré le baroud d’honneur d’une augmentation du tiers, d’une défaite complète pour le gouvernement.

La ministre a annoncé qu’en échange du maintien du financement des canadiens non-résidents les universités anglaises les « franciseraient »; c’est-à-dire que 80 % des nouveaux inscrits non québécois dans un programme d’études anglophone devraient atteindre un niveau intermédiaire en français (niveau 5) au terme de leurs études de premier cycle. La ministre a donc monté les exigences quant à la proportion d’étudiants « francisés », mais baissé quant au niveau, les exigences passant du niveau 6 au niveau 5. Pour citer la ministre Déry : « « On francise, et c’est une très bonne chose. […] Mais ce qu’on souhaite aussi, c’est encourager et pousser les universités à aller [recruter des étudiants] dans des bassins plus francophones », a expliqué Mme Déry. Elle espère ainsi « changer le visage de Montréal » ».

Cette mesure de « francisation » d’étudiants choisissant d’étudier dans des programmes en anglais (et payant souvent très cher pour la chose), va-t-elle vraiment « changer le visage de Montréal »?

L’illusion de la « francisation » dans les institutions anglaises

Ce qui frappe ici, c’est la naïveté (ou le double discours?) d’un gouvernement du Québec qui prétend réellement croire que les institutions anglaises vont « franciser » leur clientèle. On peut voir là une manifestation de la volonté, très québécoise, de s’illusionner pour éviter de regarder les choses en face et de poser les gestes qui s’imposent. Car il est évident, d’emblée, que cette « francisation » sera tout à fait superficielle et ne changera aucunement le « visage de Montréal ».

Car, comme presque toujours lorsqu’il est question de langue, on confond ici la connaissance d’une langue avec son usage. Même si l’ajout de quelques cours de français est en soi une mesure intéressante qui aurait dû être prise il y a longtemps, il est frivole de penser que cela va mener à une quelconque « francisation » (un terme valise imprécis dans ce contexte) dans un milieu aussi anglicisant que McGill ou Concordia. Ces cours vont mener à une certaine connaissance du français, ce qui est mieux que rien, certes, mais la simple connaissance d’une langue ne mène pas à son usage. L’OQLF, dans l’étude mentionnée plus haut, vient de prouver que le fait d’avoir fait son diplôme postsecondaire en anglais multiplie par quatre les probabilités qu’un francophone ou allophone travaille ensuite en anglais au Québec et, qui plus est, que le fait d’avoir fait son diplôme postsecondaire en anglais réduit de façon majeure la préférence pour le français en tant que langue de travail (de 39,6 points pour les francophones, de 67 points pour les anglophones, et de 52 points pour les allophones) et augmente presque d’autant la préférence pour travailler en anglais. Les diplômés des institutions anglaises préfèrent souvent travailler en anglais même s’ils connaissent le français.

Le fait d’avoir fait son diplôme postuniversitaire en anglais affecte également substantiellement la langue d’usage publique, les jeunes francophones diplômés en anglais au cégep ou à l’université utilisant davantage l’anglais dans les commerces de proximité (18 fois plus) que ceux diplômés en français, et ce, même s’ils ont manifestement une excellente connaissance du français, bien supérieure au niveau intermédiaire! Et pour les allophones, les études en anglais au postsecondaire font basculer complètement la préférence de langue d’usage publique vers l’anglais.

La langue du diplôme postsecondaire change profondément l’univers culturel de référence de l’étudiant et fait de l’anglais la langue première d’une bonne partie de ceux qui effectuent leurs études postsecondaires en anglais. La « francisation » dans les universités anglaises sera, assumant très hypothétiquement qu’elle soit un succès, simplement d’établir le français comme une langue seconde (ou tierce) alors que la langue et la culture première ou de référence pour les étudiants restera souvent – comme le démontre l’OQLF – l’anglais. Pour imposer l’usage du français, il faudrait que les programmes d’études dans lesquels s’inscrivent les étudiants que l’on souhaite « franciser » dans les universités anglaises soient … en français.

Du reste, l’atteinte du niveau intermédiaire sera-t-il mesuré de façon objective via des examens normés contrôlés par le ministère de l’Enseignement supérieur? Il ne faudrait pas oublier que la Commission scolaire English Montreal s’est fait prendre à remettre des certificats de francisation bidons pour que des allophones ignorant totalement le français aient accès à la citoyenneté canadienne via le Programme de l’expérience québécoise. Présumer de la « bonne foi » des institutions anglaises semble risqué.

Les universités anglaises roulent le gouvernement dans la farine

Seulement 4 jours après l’annonce de la ministre Déry le 13 octobre, McGill a annoncé l’annulation d’un investissement de 50 millions de dollars en faveur de mesures de francisation. Mais pour ensuite « faire une offre historique » au gouvernement du Québec trois semaines plus tard en affirmant qu’elle allait investir pour « franciser » une partie (40%) des étudiants non québécois. Et six jours après l’annonce du recul de la ministre Déry le 14 décembre, McGill et Concordia ont annoncé la mise sur pied de programmes de bourses (3000$/étudiant pour McGill et 4000$/étudiant pour Concordia) pour financer la hausse du tiers exigée par Québec et garder les frais de scolarité au niveau antérieur.

On peut calculer que la « bourse Canada » de 3 000$ de McGill, annoncée en un claquement de doigt, coûtera à elle seule la moitié de la somme que celle-ci disait n’avoir pas les moyens d’investir en francisation au milieu du mois d’octobre. L’augmentation initialement prévue des frais de scolarité allait-elle vraiment causer la perte de 700 postes et la ruine de McGill? On peut en douter.

Conclusion

Cette saga a servi de double révélateur. Premièrement du mépris du Québec qui règne au Canada anglais. Deuxièmement du fait qu’une partie non négligeable des élites québécoises était, sous divers prétextes, directement ou indirectement, d’abord au service des intérêts du Canada anglais.

Cette séquence est profondément révélatrice de notre véritable situation nationale dans le Canada : celle d’une minorité annexée et méprisée dont les ressources sont en partie détournées au profit d’un autre peuple. Une situation que les Québécois s’efforcent de ne pas voir.

S’il n’est pas surprenant que le PLQ/QLP ait servi de cinquième colonne pour défendre les intérêts du Canada au Québec, il est plutôt étonnant de constater que les recteurs des grandes universités de langue française aient travaillé contre les intérêts de leurs propres institutions et contre les intérêts du Québec français. On peut voir là un marqueur de l’emprise idéologique et financière croissante d’Ottawa sur le système universitaire québécois.

Quant au rôle de certains syndicats, il faut souligner que ceux-ci sont les mêmes qui se taisent ou tentent de noyer le poisson sur la mobilisation de milliers de leurs membres en faveur de l’imposition de la loi 101 au cégep. Voilà une autre révélation : ces syndicats, qui défendent d’abord leurs membres, défendent de ce fait indirectement les privilèges des institutions anglaises et le statu quo beaucoup plus qu’ils ne luttent pour la « justice sociale ».

Car il s’agit bien, en dernier recours, d’une question de justice. Celle-ci voudrait que les ressources de l’État du Québec en éducation aillent prioritairement à fermer l’écart de diplomation qui persiste toujours, soixante ans après la Révolution tranquille, entre les francophones et anglophones.

Dans un rapport marquant qui a été ignoré (p.49), Lise Bissonnette et John R. Porter dénonçaient la sous-diplomation des francophones et la canalisation de ceux-ci dans des diplômes « légers » (des certificats), moins lucratifs que les diplômes de grades: « Quand on oublie les données agrégées de l’ensemble de nos universités, quand la comparaison est menée à l’intérieur du Québec même, entre universités francophones et anglophones, on constate que les écarts selon la langue sont déterminants. Le taux d’atteinte des diplômes de grade se situe et souvent dépasse la moyenne canadienne et ontarienne pour nos universités de langue anglaise (soit environ 90 %) et certaines de nos plus importantes universités de langue française se situent sous la barre du 60 %. Le temps est certes venu de faire le point sur cet aspect de notre société distincte et surtout d’éviter le raccourci qui tend à en faire une qualité, à mettre au compte de la vertu d’accessibilité. Si l’on souhaitait mettre en lumière la différence entre la notion d’accessibilité et celle de l’égalité des chances, les données de diplomation seraient probantes entre toutes. L’université se rend certes accessible en accueillant des inscrits dont le nombre est plus élevé que jamais et dont la provenance sociale est plus diversifiée que jamais. Mais ces nouveaux venus sont-ils trop souvent dirigés vers des études dont la valeur est moindre pour l’avenir? Obtiendront-ils à l’université des chances égales à celles qu’offrait et qu’offre toujours la diplomation traditionnelle? Leur « autre diplôme » aura-t-il quelque valeur utilisable sur le marché des « vrais » diplômes que sont les diplômes de grade? »

S’il faut souligner le courage de la ministre de l’Enseignement supérieur à s’attaquer enfin, quoique faiblement, à la question des iniquités de financement en fonction de la langue, il faut du même souffle déplorer le manque de préparation et de cohérence du gouvernement et le rôle néfaste et brouillon joué par le ministre de la Langue française dans ce dossier.

L’impression générale qui se dégage est que le Premier ministre du Québec n’avait pas conscience, en ouvrant cette boite de Pandore, de s’attaquer à l’un des piliers du régime canadien, soit le fait que l’hypertrophie des universités anglaises au Québec résulte du fait que celles-ci sont au service aussi (d’abord?) du Canada et constituent, de facto, une partie non négligeable du réseau universitaire des provinces anglaises (mais situé au Québec et financé par celui-ci). M. Legault a traité cette question comme si l’utilisation des ressources de l’État du Québec pour financer les études universitaires des jeunes anglophones de partout au Canada était une aberration inexplicable alors qu’elle constitue en fait l’un des fondements même du pays et du régime auquel il dit par ailleurs adhérer.  

L’impact financier de la refonte annoncée, dans sa version revue, reste à voir. Mais on sait d’emblée que celui-ci ne sera pas suffisant pour soulager, de façon autre que marginale, le sous-financement profond dont souffrent les universités françaises au Québec. L’iniquité de financement universitaire en fonction de la langue reste quasiment entière. Les ressources du seul État français en Amérique seront toujours utilisées pour assurer le maintien d’un avantage compétitif pour ce qui de la diplomation universitaire des anglophones de partout au Canada.

Comme l’écrivent Bissonnette et Porter (p.53) : « Nous évoquons l’Université, point focal d’une société qui ne pourrait avoir de hautes aspirations sans elle. Il est impossible d’éprouver un désir d’avenir sans éprouver un désir d’université ».

L’éducation étant au cœur de l’avenir d’un peuple, si les Québécois veulent avoir un avenir, il faudra reprendre ce dossier.

Sous-financement des universités françaises: Le mal est profond

Frédéric Lacroix (essayiste) et Marc Chevrier (professeur à l’UQAM)

Le 13 octobre dernier, le gouvernement Legault a annoncé de nouvelles règles pour le financement des universités, en vue, affirme le premier ministre, de rétablir une équité linguistique entre elles. Or, un mois auparavant, le recteur de l’Université de Montréal, M. Daniel Jutras, avait publié dans le Devoir un texte surprenant. Il y affirmait que la formule de financement des universités n’était « pas inéquitable » et ne créait pas une « discrimination arbitraire entre les universités. » Il vaut la peine, croyons-nous, de revenir sur ces affirmations de M. Jutras afin d’éclairer le débat actuel sur le financement des universités.


L’iniquité de financement par étudiant
Dans son texte, M. Jutras écrit, usant d’une périphrase floue, qu’« [o]n entend même quelques voix qui dénoncent le sous-financement chronique et historique de certaines composantes du réseau universitaire québécois ». Le sous-financement dont il est question ici, bien sûr, est le sous-financement des universités de langue française au Québec. Ce sous-financement est-il une pure fiction ?


Aucunement. Si l’iniquité linguistique du financement universitaire a fait du bruit dernièrement, c’est d’abord parce que l’écart de revenu en fonction de la langue s’accroît et que, au vu du recul accéléré du français au Québec, cet écart, qui contribue directement à l’anglicisation par les études supérieures (voir OQLF, « Langue et éducation : enseignement universitaire », 2023), se réconcilie mal avec la volonté d’une nation de faire du français sa langue commune.


Le recteur Jutras parvient à nier ce sous-financement par une méthode simple : confondant la partie avec le tout, il sélectionne une des variables seulement du portefeuille de financement global des universités (les fonds de fonctionnement provenant de Québec), et ignore les autres sources de revenus des universités (fonds d’immobilisation du Québec, fonds fédéraux, droits de scolarité, dons du privé et des fondations, etc.). Ce qui lui permet de claironner qu’il n’y aurait « pas d’iniquité ».


Par exemple, si l’on regarde la subvention de fonctionnement provenant de Québec, les universités anglaises disposaient (en 2017-2018) de 5 040 $/EETP (étudiant équivalent temps plein), alors que leurs homologues françaises obtenaient 5 002 $/EETP, soit des sommes quasiment égales. Si l’on considère exclusivement cette source de revenus, il n’y aurait donc pas de discrimination en fonction de la langue. Cependant, considérons d’autres éléments. Pour les fonds provenant d’Ottawa, par exemple, ces montants sont de 2 663 $/EETP pour les anglophones et de 1 430 $/EETP pour les francophones (soit une différence de 86,2 %). Quant aux droits de scolarité, la même année, les établissements anglais touchaient 438,9 millions de dollars, soit 45,2 % du total des universités québécoises. Il en va de même pour les dons privés, les ventes de produits et services, les revenus de fondation, et même pour les fonds d’immobilisation versés par le Québec (les universités anglaises touchaient par exemple des montants 56 % plus élevés que ceux qui sont investis dans les universités de langue française en 2019-2020).


Si l’on tient compte de toutes les sources de financement, il appert que les universités anglaises disposaient de 16 095 $/EETP et que les francophones, de seulement 12 507 $/EETP, soit une différence de 3 588 $ par étudiant ou de 29 % (voir Lacroix dans L’Action nationale, avril et septembre 2021, « Québec préfère les universités anglaises » et « Au Québec, les universités anglaises sont favorisées »). Précisons que l’économiste Pierre Fortin est arrivé à des résultats comparables et a démontré que même l’Université de Montréal était sous-financée (par étudiant, en moyenne pour l’année 2018-2019) de 46 % relativement à McGill et de 20 % relativement à Concordia (« Riches universités anglophones », L’Actualité 5 avril 2023); de même, le groupe de Pier-André Bouchard St-Amant à l’ÉNAP a calculé que l’Université de Montréal était sous-financée, en dollars constants de 2000, de 74 % comparativement à McGill (voir figure 1a, « L’UQAM a-t-elle sa juste part ? », La Presse, 18 avril 2023).


Le texte de M. Jutras daté du 13 septembre 2023 est d’autant plus remarquable qu’il nie catégoriquement, au nom de la plus grande université de langue française au Québec, le sous-financement qui frappe pourtant son institution de plein fouet.


Mais pourquoi faut-il considérer toutes les sources de financement afin de brosser un portrait global de l’équité de financement ? Il y a deux raisons à cela. Premièrement, le flux monétaire global détermine l’ensemble des ressources qui sont mises à la disposition des étudiants afin de faciliter les conditions d’études et d’assurer leur succès. Deuxièmement, les fonds « autres » (autres que le fonds de fonctionnement de Québec), servent de levier comptable pour monter des projets d’expansion immobilière, ce qui, à son tour, entraîne une hausse de la clientèle et donc des sommes récoltées par le fonds de financement ou les droits de scolarité.


L’affaire du don d’une bonne partie de l’ancien hôpital Royal Victoria à McGill afin d’accélérer l’expansion de cette université sur les plus beaux terrains du centre-ville de Montréal est éclairante ; Québec a choisi McGill, car elle seule, apparemment, avait les reins financiers assez solides pour exploiter le site (cet argument fut invoqué avant que nous apprenions que Québec allait donner 620 millions de dollars en plus des bâtiments et des terrains pour rénover le site…). Pourquoi est-ce ainsi ? Parce que McGill engrange des sommes faramineuses d’Ottawa et des étudiants internationaux, grâce auxquelles elle planifie des montages financiers pour ensuite récolter des sommes supplémentaires en fonds d’immobilisation, de fonctionnement et en frais de scolarité. Les « autres sources » de financement agissent donc comme un lubrifiant pour la roue vertueuse des hausses de clientèles et du financement en fonction de l’effectif, roue qui tourne de plus en plus vite pour les universités enseignant en anglais (voilà aussi la raison pour laquelle les HEC, composante de l’Université de Montréal, sont en train de s’angliciser rapidement).


Devant une telle perspective d’ensemble, il est indéniable que les étudiants qui choisissent d’étudier en anglais au Québec sont beaucoup mieux financés que ceux qui optent pour les études en français.


La complétude institutionnelle
Si le sous-financement net en fonction de la langue, par étudiant, est de l’ordre de 29 % au Québec, l’histoire ne s’arrête pas là.


Pour réellement peser sur la dynamique linguistique et faire en sorte que les universités anglaises cessent d’agir comme des foyers d’anglicisation, il faut que le français ait un poids, au niveau universitaire, proportionné au poids démographique relatif des francophones au Québec. C’est-à-dire qu’il est nécessaire, en plus de rétablir l’égalité de financement par étudiant, de viser la « complétude institutionnelle » (voir p. 53, « Pourquoi la loi 101 est un échec », Boréal, 2020). L’atteinte de cette complétude impliquerait que la proportion du financement global accordé aux anglophones soit égale à leur poids démographique (soit environ 10 %). Comme cette part de financement tourne actuellement plutôt autour de 30 %, nous sommes très loin du compte. Les universités anglaises touchaient en 2017-2018 38,3 % des fonds provenant d’Ottawa, soit 4,7 fois leur poids démographique au Québec. S’agissant des droits de scolarité, la même année, les établissements anglais touchaient 438,9 millions de dollars, ce qui représente 5,6 fois leur poids démographique.


On peut évaluer que la somme manquante totale due aux universités de langue française pour atteindre la complétude institutionnelle était, pour l’année de référence 2017-2018, de 1 466 millions de dollars. Ce qui équivalait alors à 20,1 % de tous les revenus des universités au Québec.


À l’injustice « microscopique » qui frappe les étudiants au niveau individuel s’ajoute donc l’injustice « macroscopique » d’une sous-complétude institutionnelle pour les universités de langue française. Pour arriver à l’équité réelle, il faut agir sur ces deux niveaux. De ce point de vue, la Révolution tranquille, qui devait mettre le Québec français au niveau de la communauté anglaise en éducation, est un échec sur ces deux plans.


Les mesures annoncées le 13 octobre par Québec ne constituent qu’un premier pas, timide, dans le rétablissement d’une équité véritable. Mais s’arrêter en chemin ne ferait que cautionner le déclassement qui guette les universités françaises au Québec.

L’anglicisation de Laval : spécial cégep

J’ai publié récemment un texte intitulé « L’anglicisation de Laval », texte qui faisait le tour de certains indicateurs démolinguistiques issus des recensements canadiens. J’y démontrais que le recul du français-et l’avancée de l’anglais- était proprement spectaculaire à Laval depuis une vingtaine d’années.

Un lecteur qui est également professeur au collège Montmorency à Laval et qui souhaite rester anonyme m’envoie ce témoignage sur la situation du français dans son cégep. Comme souvent, ce genre de témoignage, branché directement sur le terrain, donne une vision qu’un tableau statistique peine à fournir. On peut y constater que les données statistiques issus des recensements sont probablement bien en retard sur la réalité et que l’état de déliquescence du français à Laval est probablement beaucoup plus avancé que plusieurs ne veulent l’admettre ou que ne le reflètent les indicateurs linguistiques.

A Laval, le français est une langue en chute libre sur le plan symbolique, au point où les jeunes francophones, socialisés dans un univers numérique anglophone et dans une « province » qui dévalorise implicitement et presque ouvertement sa seule langue officielle, subissent déjà, à 17-18 ans, une érosion de leur vocabulaire de base dans cette langue alors qu’ils trouvent facilement les mots en anglais. Disons-le : à Laval, chez les jeunes, l’assimilation collective à l’anglais est en marche.

Quant aux allophones, leur intégration à la « majorité francophone » est, disons, de plus en plus sujet à caution. A lire ce texte, l’on comprend que le gouvernement Legault a probablement une vingtaine d’années de retard dans sa lecture de la dynamique linguistique.

Au cégep Montmorency

« Au collège Montmorency où j’enseigne, le français est dans un sale état.
Oubliez l’intégration d’anglicismes au sein de discussions ou de travaux en français : il y a belle lurette que la régression du français a largement dépassé la simple notion de vocabulaire emprunté de l’anglais.

Aujourd’hui, on fait passer pour des « anglicismes » des termes qu’on refuse simplement de traduire adéquatement. Ainsi, dans certains travaux étudiants, on peut lire des phrases comme : « C’est à ce moment que le policier a pris son « gun » » ou encore « Elle marchait tout bonnement sur le « sidewalk ». On ne parle pas ici d’anglicismes comme « timing » ou « brainstorm », qui seraient déjà plus faciles à accepter en raison de traductions plus ou moins évidentes. On parle de termes ayant des équivalents français directs, mais pour certains, qui en oublient leur vocabulaire français, le terme en anglais leur vient naturellement et ils n’essaient même pas de le retraduire vers le français.

Une aliénation linguistique

Remarquez le processus d’aliénation linguistique : une personne francophone, qui a grandi en français toute sa vie, finit par oublier des termes de vocabulaires aussi simples que « fusil » et « trottoir », mais les identifient très facilement en anglais. Déjà, on peut repérer un problème majeur, mais c’est pire que cela : la personne en vient à ne même plus tenter une traduction en français pour réappliquer le vocabulaire qu’elle a pourtant toujours su. Lorsque questionnés sur ces mots anglais intégrés au sein d’une phrase en français, certains étudiants se défendent candidement : « Mais monsieur, c’est ok, j’ai mis des guillemets! » ou encore « Mais monsieur, vous avez compris ce que je voulais dire! »

Lorsque réprimandés pour ces erreurs linguistiques (rappelons une évidence que plusieurs aimeraient ignorer : le collège Montmorency est un cégep francophone où la langue d’usage est le français et où les travaux sont réalisés en français), les étudiants ne se gênent pas pour émettre de profonds soupirs d’insatisfaction et de découragement, ni de rappeler à voix haute, devant toute la classe, que « ça serait tellement plus simple en anglais! »

Ce type de réflexion est répandu, et pas que chez les étudiants immigrants : plusieurs jeunes francophones y adhèrent.

On aura beau leur offrir tous les outils du monde pour les aider en français, rien n’y fait : pour les étudiants, le français est ringard, difficile et inutile. L’indifférence et l’insouciance triomphent, quand ce n’est pas directement du dédain ou du mépris. Ils assument avec une étrange fierté de mal écrire en français et de ne pas le maitriser. Avisés qu’ils peuvent perdre jusqu’à 10% de leur note pour les fautes de français, nombreux sont ceux à préférer cette pénalité qu’à prendre 5-10 minutes pour corriger leur texte.

Dans un des cours donnés par un collègue, les étudiants avaient à élaborer une mise en scène à partir d’un court texte. En groupe, les étudiants ont demandé s’ils pouvaient traduire eux-mêmes le texte en anglais pour faciliter l’exercice. Vous avez bien lu : ils rejettent un texte en français, qu’ils comprennent clairement (puisqu’ils arrivent à le traduire), et préfèrent alourdir la tâche en effectuant une traduction vers l’anglais plutôt que de traiter le texte en français, tel qu’il est.

Dans les discussions orales, même son de cloche : les étudiants se parlent fièrement en anglais dans les corridors ou même en classe. Et avant qu’on ne réitère le sempiternel faux argument qui cherche à minimiser ce phénomène sous prétexte que « mais c’est bien qu’ils pratiquent leur anglais », mettons les choses au clair : ce n’est pas de la « pratique ». Ces conversations sont légion et n’ont rien d’un exercice formateur ou pédagogique. Exemple de conversation entendue à la cafétéria : « And then I was like, you know, oh my god! I can’t believe you just said that, you bitch! No way! That girl needs to chill out big time… »


Je peux vous garantir que ce ne sont pas des formulations apprises dans un cours d’anglais. Et il ne s’agit pas d’un moment d’imitation ou de parodie d’un extrait de film ou autre mise en scène : il s’agit d’une conversation du quotidien entre amies, qui était à 100% en anglais.

Autre phénomène en hausse : les interventions d’étudiants en classe qui incorporent de plus en plus d’anglais, avec des mots fourre-tout aussi issus de l’anglais.

Exemple de question reçue : « Monsieur, selon vous, ce serait qui le… I mean… ce serait qui le best director ever? » Et tout cela sans compter les innombrables intégrations de termes en anglais tout simplement plaqués dans une phrase, sans ajustement, sans conjugaison, sans réappropriation.

Exemple entendu le matin : « Bof rien de spécial, j’ai spread mes toasts avec du beurre de peanuts. » On acceptera évidemment sans trop de reproche les anglicismes « toasts » et « peanuts », mais les verbes repris de l’anglais tels quels ont la cote : oubliez les verbes anglais conjugués pour la syntaxe française (j’ai callé un taxi / on a switché les rôles), désormais, le verbe anglais conserve sa forme intacte, et on n’essaie même plus de lui donner une apparence francisée.

Inversion du rapport langue première/langue seconde

Il n’y a pas si longtemps, les professeurs fournissaient un effort de francisation de textes issus de l’anglais pour les présenter en français aux étudiants, histoire de faciliter la compréhension et parce qu’on ne pouvait jamais présumer du bilinguisme des étudiants. Cette tendance est désormais inversée : plusieurs préfèrent étudier des textes ou des films en anglais plutôt que de lire, écouter ou réfléchir en français.

La culture américaine triomphe
Les ramifications de ce déclin du français sont très nombreuses, mais il y a fort à parier que l’hégémonie culturelle américaine, combinée à une dévalorisation du français au sein de nos propres institutions, contribuent colossalement à la perdition du français chez les étudiants.

Pour la plupart d’entre eux, ils ne consomment que de la culture anglophone : films, téléséries, musique, médias sociaux, balados, youtube… tout est en anglais. À Montmorency, les étudiants qui consomment de la culture québécoise sont l’exception et non la règle.

L’élastique linguistique va sauter
Le déclin du français m’apparait alors comme un élastique avec deux forces qui tirent chacune de leur côté : d’un côté, la dévalorisation générale du français, et de l’autre, une admiration sans réserve de l’anglais. A mon avis, la rupture de l’élastique linguistique est donc imminente. »