L’OQLF en décalage

Le vendredi 12 avril, soit huit jours exactement après la publication d’une étude clamant que « l’usage du français dans l’espace public est stable », l’OQLF a émis, chose rare, un communiqué de rectification (ici). Étrange communiqué s’il en est.

Dans celui-ci, l’Office affirme que la pondération du sondage a bien été faite à partir des données du recensement de 2021 alors qu’elle avait répondue à Jean-François Lisée quelques jours auparavant que c’étaient les données 2016 qui avaient été utilisées pour faire cela. Étant donné que le poids démographique relatif des francophones (langue maternelle) a reculé de 1,7 point entre 2016-2021 (un recul sans précédent depuis 1871), cette surpondération des francophones avec les données de 2016 n’aurait pas permis de conclure à une « stabilité » de l’usage du français.

Cette séquence permet de constater que la confusion sur les détails méthodologiques règne à l’interne à l’Office. Ces « détails » constituent pourtant le cœur de la mission de l’Office et fondent sa crédibilité. On aurait envie de savoir si, pour cette étude qui vient d’être publiée, de l’expertise interne est encore disponible à l’Office ou si c’est le sous-traitant privé (SEGMA recherche) qui a effectué le travail et l’Office se serait contenté de publier les résultats?

L’Office écrit dans ce communiqué, et c’est notable, qu’elle « diffuse des données sur les langues utilisées dans l’espace public depuis 2007 dans le cadre de son mandat ». Notons le vocabulaire employé; elle « diffuse » des données. L’Office aurait pu écrire qu’elle « produisait » des données et des analyses, mais a choisi un d’employer un verbe qui implique un rôle passif. Détail sans doute, mais détail peut-être révélateur d’un certain état d’esprit. La question se pose sur le niveau de l’expertise interne disponible aujourd’hui à l’Office; la situation y est-elle similaire à celle qui règne, disons, en informatique au gouvernement?

De plus, l’indication de l’année 2007 est une façon oblique, sans doute, d’écarter la critique voulant qu’elle ait ignoré l’étude de Paul Béland sur la langue de l’espace public réalisée en 1997. La prise en compte de cette étude aurait inversé la conclusion de l’Office, qui aurait alors été forcée d’écrire qu’il y avait un « déclin du français comme langue de l’espace public ». Cette étude de Béland a été effectuée non pour le compte de l’Office, c’est vrai, mais pour celui du Conseil de la langue française. Cela relève cependant du détail administratif alors que l’Office spécifie avoir inclus les données d’une étude du Conseil de 2010 et prend également soin d’écrire que le questionnaire utilisé pour le sondage de 2022 « a été conçu à partir de ceux d’études antérieures menées par l’Office (en 2016) et par le Conseil supérieur de la langue française (en 2010 et en 1997) » (p.42). L’exclusion des données de 1997, pourtant prises en compte lors de la mise sur pied du questionnaire de l’étude, est donc étrange.

Et c’est tout pour cette « rectification ». On n’y trouve aucune explication sur les taux excessivement élevés de non réponse et leur effet potentiel sur les biais du sondage, aucune explication sur le déclin massif de l’anglais enregistré pour le sondage de 2022, aucune explication sur la prise en compte ou non des immigrants temporaires (qui ont pourtant rajouté 2% de non-connaissant-le-français à la population dans les dernières années!), aucune explication de l’incohérence entre ce résultat et le reste de l’ensemble du portait démographique et linguistique. Tout ce que l’on a comme mea culpa de l’Office est cette phrase laconique : « L’Office est bien conscient du décalage entre le portrait sociodémographique du Québec au moment de la collecte des données réalisée à l’hiver 2022 et celui de 2024 ».

Un « décalage »? C’est le moins qu’on puisse dire.