L’anglicisation de Saint-Henri-Sainte-Anne

Dans le cadre de la partielle qui se tient ces jours-ci dans la circonscription de Saint-Henri-Sainte-Anne, Québec Solidaire (QS) a distribué un pamphlet unilingue anglais (voire l’image).

On se rappellera que QS avait pourtant voté en faveur de la loi 96, la « Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français ». QS a également publié un « livre orange » en mai 2021, livre contenant ses (costaudes, il faut le dire) propositions sur la langue française. Dans ce livre orange, QS affirme souscrire pour l’essentiel à la vision de Camille Laurin selon quoi « la langue française n’est pas qu’un simple mode d’expression mais un milieu de vie ».

Mais en publiant un pamphlet unilingue anglais, même si les partis politiques ne sont pas soumis à la loi 101 en ce qui concerne l’affichage ou la publicité, QS va à l’encontre de la notion, vitale, de français « langue commune », qui est véritablement la notion qui sous-tend toute la Charte de la langue française. Ce faisant, QS se rapproche du Parti libéral du Québec qui a depuis longtemps l’habitude de faire sa publicité électorale en anglais.

Ce rapprochement de QS avec le PLQ n’est pas dû au hasard; ces deux partis se livrent actuellement une chaude lutte afin de remporter la circonscription de Sainte-Henri-Sainte-Anne dans le sud-ouest de Montréal.

Saint-Henri, autrefois un quartier ouvrier francophone, est un des quartiers qui s’anglicise le plus rapidement à Montréal. En 2001, 75% des habitants de Saint-Henri avaient le français comme langue d’usage (la langue parlée le plus souvent à la maison), mais en 2016, cette proportion avait reculée à 60%, soir une perte incroyable de 15 points en seulement 15 ans.

Dans cette circonscription électorale, de 2016 à 2021, la proportion de francophones est passée de 57,7% à 54,5%, soit un déclin de 3,2 points en 5 ans seulement. Autant du point de vue de la langue maternelle que de celui de la langue parlée à la maison, le français est en train de perdre pied dans Saint-Henri-Sainte-Anne (voir figure 1).

Pendant ce temps, la proportion d’anglophones a augmenté de 4,1 points selon la langue d’usage et de 2,3 points selon la langue maternelle! Le groupe anglophone est donc en croissance autant du point de vue de la langue maternelle que de celui de la langue parlée à la maison (voir figure 2).

En 2021, il y avait 7 260 anglophones de plus pour ce qui est de la langue d’usage comparativement aux anglophones de langue maternelle, ce qui indique que le groupe anglophone a réussi à gonfler ses effectifs de 40% à l’aide des transferts linguistiques effectués par des allophones (et des francophones). Une bonne partie des « anglophones » dans Saint-Henri-Sainte-Anne sont des allophones anglicisés!

En comparaison, le groupe francophone n’avait réussi qu’à recruter 1 808 francophones de plus, soit 4% de la taille du groupe de francophones, langue maternelle. Les francophones sont 2,35 fois plus nombreux que les anglophones mais attirent quatre fois moins de nouveaux locuteurs que les anglophones!

Le rapport de force entre l’anglais et le français dans Saint-Henri-Sainte-Anne, autrefois un quartier français, est donc, grosso modo, de 6 pour 1 en faveur de l’anglais!

Comment en sommes-nous arrivés là?

Il s’agit là d’un effet direct de l’installation du McGill University Health Center sur le Glen Site tout juste au nord du quartier, combiné à l’expansion énorme consentie depuis vingt ans à Concordia University et Dawson College qui installent leur trop plein d’étudiants et de travailleurs dans ce quartier.

Ce qui a pour effet de faire basculer, de plus en plus, ce quartier autrefois français dans le giron anglophone. Je décrivais le mécanisme à l’œuvre dans un article de 2017 : « Le financement sans restriction des institutions anglophones – hôpitaux, universités, cégeps – nous mène tout droit dans le mur. Le refus des élites francophones d’ordonner le complexe institutionnel selon les besoins de la majorité signifie que les Québécois financent leur propre assimilation. Le bilinguisme généralisé de l’État québécois mine gravement le statut du français au Québec. Le gouvernement du Québec se trouve à être un des principaux responsables (avec Ottawa bien sûr) de la régression actuelle du français au Québec. »

Il est navrant que constater que QS ne fait que suivre le courant de la dynamique démolinguistique à l’œuvre dans le quartier, abandonne ses velléités (du moins symboliquement, ce qui est crucial) de défendre le français en tant que « langue commune », et dispute maintenant la même clientèle électorale que le PLQ. Celle-ci, des anglophones et des allophones fraichement anglicisés, est d’ailleurs en croissance rapide.

Mais cette croissance rapide est due essentiellement aux investissements colossaux du gouvernement du Québec dans des institutions anglophones déjà hypertrophiées.

A quand le « réveil national » du gouvernement du Québec sur cette question?