La Presse du 2 mars 2023 nous apprenait que de nombreux immigrants « temporaires » profitaient d’un trou béant dans la loi 101 pour inscrire leurs enfants dans les écoles anglaises publiques. Ainsi, le nombre d’enfants inscrits dans le réseau anglais a monté de 1 750 en 2012 à 3 200 en 2021, soit une augmentation de 90% en une petite dizaine d’années. Cette augmentation est directement corrélée à celle, exponentielle, du nombre de personnes détenant un permis de travail ou bien un permis d’études au Québec. A Montréal, ce sont 564 élèves qui ont le statut d’immigrants « temporaires » dans les écoles anglaises, soit de quoi remplir une (grosse) école primaire. Même chose sur la rive-sud de Montréal. Idem ailleurs au Québec.
Cet article de La Presse est d’une complaisance étonnante envers ce phénomène et nous présente ce contournement de la loi 101 et la volonté de ne pas s’intégrer au Québec français de la part de ces immigrants comme « une richesse ». Le journaliste nous offre ainsi l’opinion de Russel Copeman, ex-député de PLQ et président de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec, comme s’il s’agissait d’une opinion neutre et informée. L’article de La Presse nous présente aussi, hypocritement, le cas idéal d’une famille française (donc parlant déjà français!) dont les enfants seront obligés de fréquenter l’école française après un séjour à l’école anglaise, mais oublie de nous présenter le cas, par exemple, d’un Coréen ou d’un Indien, arrivant à l’adolescence au Québec, inscrit dans une école anglaise pour 3 ans et qui, ensuite, peut simplement s’inscrire directement à Dawson et Concordia sans jamais passer par le système français et sans jamais apprendre le français. Ces deux cas d’espèce représentent pourtant une partie importante des enfants de « temporaires » inscrits à l’école anglaise pour échapper à la nécessité de s’intégrer au Québec français.
L’article 84.1 (et 85) de la Charte de la langue française autorise cette dérogation à l’obligation de fréquenter l’école française pour ceux qui « séjournent au Québec de façon temporaire ». Notons bien ces mots « qui séjournent de façon temporaire ». Cette dérogation a été introduite dans la Charte à la suite de pression des milieux d’affaires qui craignaient que des cadres de haut niveau, qui faisaient carrière à l’international ou des diplomates, qui rempliraient une mission à Montréal pendant quelques années, ne choisissent plutôt d’aller ailleurs. Il s’agissait donc d’une mesure d’exception destinée, précisément, à ceux qui séjournaient « temporairement » et qui repartaient ensuite. Mais cette mesure d’exception est devenue une importante voie de contournement de la loi 101.
Ce problème a même été reconnu par le gouvernement caquiste. La loi 96 est ainsi venue raccourcir la durée permise de cette exception de 6 à 3 ans. Mais le gouvernement, pour une raison obscure, n’a pas osé la faire sauter complètement.
Car l’immigration dite « temporaire » a complètement changé de nature depuis une dizaine d’années; les immigrants « temporaires » convertissent maintenant très souvent leur statut de « temporaire » à « permanent » après un certain nombre d’années de présence chez nous. Cela est une conséquence du changement du système d’immigration au Canada en 2014, changement d’un système à une étape (sélection directement à l’étranger) vers un système à deux étapes (venue comme travailleur ou étudiant temporaire et obtention du statut permanent ensuite).
Le nombre d’immigrants temporaires était autrefois inférieur à celui des immigrants permanents, ce qui en faisait une catégorie presque marginale. En 1972, par exemple, le nombre de résidents non permanents au Québec était de 16 509 tandis que celui des immigrants permanents était de 18 592. Depuis lors, le nombre de «temporaires» a augmenté de façon impressionnante ; de 2000 à 2018, le nombre de travailleurs détenteurs de permis temporaires au Canada est passé de 60 000 personnes à 429 300 personnes, une augmentation relative de 615 %. Le nombre d’immigrants temporaires présents sur le territoire dépasse maintenant très largement le nombre d’immigrants permanents admis chaque année.
Les immigrants « temporaires » sont en fait des immigrants « pré-permanents ».
Il est donc insensé de conserver cette exception, venue d’un autre temps, dans la Charte de la langue française.