Les cégeps anglais sont moins exigeants

La formation générale offerte dans les cégeps français serait « platte », devrait être « mise à jour » et « modernisée » nous expliquait la présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec, Maya Labrosse, dans un texte de La Presse canadienne du 2 mars. Celle-ci ajoutait aussi : « Les étudiants collégiaux actuels n’étaient pas nés quand on a décidé des devis de la formation qu’ils vivent et pour nous, c’est un non-sens de ne pas adapter la formation avec le temps ». « Avant moi le déluge » aurait-on envie de répéter avec Mme Labrosse.

Une mince majorité, soit 53%, des étudiants au collégial considèreraient la formation générale comme étant « inintéressante » et cela aurait des répercussions sur « la réussite et le décrochage ». Rien de moins. Il faudrait donc, et là, le chat sort du sac, « offrir des choix de cours diversifiés pour chacun des domaines de la formation générale, à l’instar de ce qui est déjà en place dans le réseau collégial anglophone ».

On rappellera que les cégeps sont une création québécoise qui vise à allier, sous un même toit, la formation professionnelle et la formation générale, cette dernière visant à faire des étudiants des « citoyens conscients de leurs droits et de leurs responsabilités ». (Rapport Parent, Vol. 5, 533). L’idée derrière la formation générale était aussi, précisément, de fournir aux étudiants un cursus ou tronc culturel commun. A une époque où la culture commune est en train de disparaitre au profit des bulles personnalisées et des « safe spaces » offerts par les algorithmes des réseaux sociaux, il faudrait plutôt, me semble-t-il, renforcer le tronc commun pour tenter de mettre en échec les forces centrifuges qui travaillent actuellement à faire éclater, précisément, notre sens du commun.

Mais là où la FECQ déraille, c’est avec la suggestion que si la « réussite » est meilleure et le « décrochage » moindre dans les cégeps anglais, cela serait dû à l’absence de cette formation générale « inintéressante » où la philosophie, par exemple, est remplacée par des « humanities » à la carte. Étudier « Martin Luther King », est-il suggéré, conduirait moins à l’échec que se pencher sur des vieilles barbes comme Socrate.

Pour justifier la mise au rancart de la formation générale, on s’appuie sur quelques idées reçues et fausses.

Il est maintenant bien établi, par exemple, que la demande est telle pour les cégeps anglais que ceux-ci sélectionnent seulement les meilleurs étudiants (seulement 30% des postulants pour Dawson College, par exemple), ceux avec la plus haute moyenne au secondaire. Dans notre système collégial à deux vitesses, les cégeps anglais sont ainsi réservés à l’élite tandis que les cégeps français sont déclassés.

Un facteur fondamental expliquant la « performance supérieure » des cégeps anglais est aussi presque toujours passé sous silence dans le débat public. Ainsi, la majeure partie de la « performance supérieure » des cégeps anglais relativement aux cégeps français, soit les deux tiers, une fois que l’on contrôle pour l’effet de sélection à l’entrée, est due aux exigences moindres des cégeps anglais au chapitre de la formation générale (voir p. iV, « La réussite scolaire au collégial », PUL, 2020)!

Les analyses qui circulent font aussi l’impasse sur le fond des choses. Qui est que la langue d’enseignement est LE facteur déterminant pour les étudiants dans le choix du cégep anglais. La langue d’enseignement, soit l’anglais, déclasse les autres facteurs tels que la qualité de l’enseignement, les programmes offerts, l’emplacement du cégep ainsi que le fait d’avoir des amis (ou non) qui choisissent le cégep anglais. La figure 1 est tirée d’une étude (p.33) réalisée sur le sujet pour le compte de la CSQ en 2010.

Figure 1

L’on constate à la figure 1 que la langue d’enseignement est un facteur très important dans le choix du cégep anglais.

La situation est tout autre dans les cégeps français alors que le programme offert constitue plutôt le premier facteur de sélection d’un cégep, la langue arrivant en troisième position derrière la qualité de l’enseignement (voir figure 2).

Figure 2

Afin d’augmenter la « réussite » dans les cégeps français, ce que la FECQ (et d’autres) nous propose, en fait, est de diminuer les exigences de ceux-ci et d’offrir une formation moins exigeante comme le font les cégeps anglais. Tout en niant le fond des choses qui est le fait que ce n’est pas l’absence de formation générale qui attire les francophones et allophones dans les cégeps anglais, mais la langue d’enseignement en soi. Les jeunes qui font le choix du cégep anglais font en même temps, souvent, le choix de changer d’univers culturel et espèrent, pour la plupart, intégrer l’anglosphère et travailler en anglais. La solution pour régler la faible attractivité des cégeps français n’est pas la fuite dans un clientélisme mal avisé et s’appuyant sur des idées erronées mais, tout simplement, l’imposition de la loi 101 au cégep.