Un bilan de la saga de l’augmentation des frais de scolarité pour les canadiens non-résidents
L’annonce
Le 13 octobre 2023, la ministre de l’Enseignement supérieur Pascale Déry annonçait une refonte de certains volets de la politique de financement des universités. Cette refonte visait deux objectifs principaux: 1) faire en sorte que les étudiants canadiens non-résidents venant étudier dans les universités du Québec le fassent à coût net nul pour l’État québécois et 2) rétablir une péréquation interuniversitaire de façon à ce que le pactole récolté des étudiants étrangers par les universités anglaises (quelques 282 millions de dollars par année, soit 69% du total généré par l’ensemble des universités au Québec) bénéficie à l’ensemble du réseau universitaire québécois.
Deux objectifs principaux mais également, semble-t-il, un objectif connexe; au cours de la conférence de presse tenue le 13 octobre, le ministre de la langue française Jean-François Roberge a affirmé que cette mesure visait aussi à « freiner le déclin du français ». Pour que la mesure ait cet effet, cependant, il faudrait que le nombre de canadiens non-résidents qui vient étudier à McGill, Concordia et Bishop’s (plus de 11 000 personnes/an) diminue substantiellement. Cependant, il est loin d’être certain qu’une hausse des frais de scolarité, même significative, aurait un impact suffisant pour « freiner le déclin du français » étant donné que les frais de scolarité ne constituent qu’une des variables dans la décision de s’inscrire dans une université ou non (le coût de la vie, la réputation, le programme, etc., sont également des paramètres importants). Afin que la baisse de la clientèle de canadiens non-résidents constitue un objectif clair de la mesure annoncée, il aurait fallu que le gouvernement impose, par exemple, un contingentement du nombre d’étudiants canadiens non-résidents financés chaque année. Le niveau de contingentement aurait pu être déterminé à l’aide d’une clause de réciprocité avec les provinces anglaises; le Québec pourrait financer, par exemple, un nombre égal d’étudiants canadiens non-résidents dans les universités anglaises à celui des étudiants québécois que les provinces hors Québec financent dans des programmes en français. Cela aurait eu l’avantage de révéler au grand jour l’ampleur titanesque de la disproportion qui est en jeu pour ce qui est de l’accès à l’enseignement universitaire dans la langue de la « minorité » au Canada.
Cet objectif « ad hoc » linguistique semble donc avoir été greffé, sans préparation sérieuse, a posteriori, sur une mesure visant essentiellement des objectifs comptables. Cela reflète probablement le fait que le « Groupe d’action sur l’avenir de la langue française » de la CAQ, qui était supposé annoncer un « plan d’action » cet automne, semble être incapable de justement passer à l’action. Le ministre de la Langue française a-t-il profité de l’annonce de la ministre de l’Enseignement supérieur pour tenter d’insuffler un semblant de vie à ce « Groupe d’action »?
Quoi qu’il en soit, cette refonte de la politique de financement universitaire est le résultat d’un engagement pris par la ministre Déry en juin 2023 par suite de nombreux articles parus dans les médias en 2022-2023, articles qui détaillaient l’iniquité du financement universitaire qui règne en fonction de la langue d’enseignement au Québec. Par exemple, le chercheur Martin Maltais a évalué que les canadiens non-résidents, ainsi que certains étudiants internationaux (comme les Français et les Belges qui bénéficient d’ententes avec le Québec) inscrits dans les universités anglaises nous coûtaient 200 millions de dollars par année collectivement. J’ai calculé, dans « Pourquoi la loi 101 est un échec » (p.163, Boréal, 2020) que la scolarisation des canadiens non-résidents à McGill, Concordia et Bishop’s nous coûtaient plus de 100 millions de dollar par année. Une somme qui sert, au final, à diplômer des non Québécois dans des programmes en anglais et à angliciser Montréal. L’atteinte de l’objectif numéro 1 de la mesure Déry signifie que le Québec cesserait de payer le coût pour son anglicisation via les étudiants universitaires non québécois. Cependant, le Québec continuera de s’angliciser tout de même par le biais des universités anglaises, à moins que la proportion d’étudiants inscrits dans celles-ci ne baisse.
Quant à péréquation interuniversitaire, elle a été abolie en 2018 sous Philippe Couillard en même temps que les frais de scolarité pour les étudiants internationaux étaient dérèglementés, ce qui a constitué un cadeau princier fait aux universités anglaises. Ces mesures ont été prises en même temps que M. Couillard faisait don du Royal Victoria à McGill, un don d’une valeur estimée à un milliard de dollars. Dans la mesure Déry, la péréquation interuniversitaire serait rétablie grâce à l’imposition d’un tarif plancher pour les étudiants internationaux, assorti de la récupération d’un montant forfaitaire. Ce montant forfaitaire serait reversé aux universités de langue française.
Afin d’atteindre le premier objectif, les frais de scolarité chargés aux canadiens non-résidents devaient passer de 9 000$/an à 17 000$/an en moyenne, soit une augmentation de 89%. Le deuxième objectif serait atteint en imposant un prix plancher de quelque 20 000$/an aux étudiants internationaux (et un montant forfaitaire qui est à déterminer).
Voilà la refonte initialement annoncée par la ministre Déry. Une mesure simple, logique, et qui se défend bien : le Québec est-il en effet assez riche pour financer la scolarité universitaire des jeunes anglophones non-résidents, en anglais qui plus est? Cela pourrait potentiellement se justifier s’il y avait hors Québec une contrepartie à cette « générosité », c’est-à-dire si les provinces anglaises finançaient les études en français de quelque 11 000 québécois par année dans leurs universités françaises. Mais ce n’est hélas pas le cas, les moignons de facultés et les bouts de programmes en français hors Québec étant systématiquement sous-financés et asphyxiés financièrement dans les provinces à majorité anglaise. Pour donner un seul exemple de ce qui pourrait être une longue liste : l’Université de l’Ontario français (la seule université en Ontario qui ne soit pas bilingue) n’accueillait que 233 étudiants en septembre 2023, ce qui équivaut à 0,3% des effectifs des universités anglaises du Québec. Ce n’est pas comme si, non plus, les francophones constituaient une élite surdiplômée qui pouvait sacrifier une partie de ses ressources à tenter de hisser les anglophones à son niveau; aujourd’hui encore, les francophones au Québec sont toujours 40% moins nombreux, proportionnellement, que les anglophones à détenir un diplôme universitaire (p.136 « Pourquoi la loi 101 est un échec »).
Le surfinancement des universités anglaises au Québec
Les universités anglaises du Québec accueillent quelque 25% de l’effectif universitaire et reçoivent environ 30% des fonds globaux des universités, et ce, même si la communauté anglophone du Québec ne représente que 8,8% de la population du Québec (langue maternelle). Il existe donc une « surcomplétude institutionnelle », c’est-à-dire que les institutions anglaises sont très nettement surdimensionnées relativement au poids démographique de la communauté anglaise (p.53 « Pourquoi la loi 101 est un échec »). Ce surdimensionnement est d’un facteur 2,8 pour ce qui est des effectifs et d’un facteur 3,4 pour ce qui est du financement.
La disproportion est encore pire si on considère seulement la partie des fonds provenant d’Ottawa; ainsi, les anglophones touchent 38,3 % de ces fonds tandis que les francophones en récoltent seulement 61,7 %. Les anglophones bénéficient donc de 4,7 fois leur poids démographique du financement reçu d’Ottawa tandis que les francophones sont financés en deçà de leur poids démographique.
Les universités anglaises du Québec sont si hypertrophiées qu’elles n’accueillent qu’une petite minorité d’«ayants-droit » (23,6%) c’est-à-dire d’étudiants qui sont membres de la communauté d’expression anglaise en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette proportion est de 17,1% à McGill, de 29,7% à Concordia et de 22,3% à Bishop’s. La majorité de la clientèle des universités anglaises est ainsi constitué d’étudiants internationaux, d’étudiants québécois non ayants-droit (des allophones et francophones), ainsi que de canadiens non-résidents.
Le respect du principe de la complétude institutionnelle voudrait que la proportion du financement accordé aux anglophones soit égale à leur poids démographique (soit moins de 10 %). Cela est loin d’être le cas. On peut calculer que la somme manquante totale aux universités de langue française afin d’assurer leur complétude institutionnelle (90% des revenus) était de 1 466 millions de dollars par année en 2017.
Cette surcomplétude institutionnelle anglophone a des conséquences majeures sur la dynamique linguistique de Montréal et du Québec tout entier. Il a été établi par Statistique Canada, par exemple, que la langue des études postsecondaires détermine dans une large mesure la future langue de travail des étudiants. Un constat qui a été renforcé par une étude récente de l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui a démontré que les études postsecondaires en anglais pesaient lourdement sur la langue d’usage publique. Les universités anglaises constituent des foyers d’anglicisation majeurs au Québec et un moteur de l’assimilation de francophones et allophones à la communauté anglaise (gain d’un point pour l’anglais en tant que langue parlée le plus souvent à la maison entre 2016 et 2021).
De plus, la disproportion entre l’effectif (25%) et le revenu global (30%) met en lumière une iniquité supplémentaire; il s’agit du financement par étudiant (étudiant équivalent temps plein ou EETP). Au Québec, un étudiant qui choisit d’étudier en anglais est mieux financé, dispose de plus de ressources, qu’un étudiant qui choisit un programme en français. Globalement, les universités anglaises disposaient de 16 095 $ par étudiant équivalent temps plein (EETP) en 2017 tandis que les universités de langue française n’avaient que 12 507 $ par EETP, une différence 3 588 $ ou 28,7 %.
À l’injustice « macroscopique », sociétale, d’une sous-complétude institutionnelle pour les universités de langue française s’ajoute une autre injustice qui frappe les étudiants au niveau individuel. Ceux qui choisissent de poursuivre leurs études universitaires en anglais jouissent d’un avantage structurel par rapport à ceux qui poursuivent leurs études en français.
Voilà le problème titanesque auquel la refonte annoncée de la politique de financement universitaire s’attaquait en partie. En très petite partie seulement car l’effet estimé du rétablissement de la péréquation serait de reverser environ 100 millions de dollars par année aux universités françaises, ce qui est très loin de la somme qui serait requise pour abolir la sous-complétude institutionnelle qui les frappe, qui serait plutôt quinze fois plus importante (1,5 milliard de dollars).
Pour un tour d’horizon plus complet de cette question, on pourra se référer à cet article de Pierre Fortin, ou à « Au Québec, les universités anglaises sont favorisées » (Action nationale, Septembre 2021).
La réaction du Canada anglais
Cette annonce de la ministre Déry a mis en branle une vigoureuse réaction, proche de l’hystérie, au Canada anglais; les médias comme The Gazette, The National Post, The Globe and Mail ont lancé une campagne intensive visant à faire renverser cette décision. The Gazette s’est particulièrement distinguée en publiant quasiment un texte par jour sur le sujet pendant tout l’automne à partir du 14 octobre dernier. Voici un florilège des textes publiés: « catastrophic », « I love Quebec, but it doesn’t love me », « Legault wants to kill Quebec’s English universities », « shortsighted, mean-spirited and, from an economic vantage point, completely idiotic », « targeted attack », « existential risk », « Legault farting in Canada’s direction ».
Dans ces textes, tout y passe : vulgarité, exagération, subtilité nulle et absente, tentatives d’intimidation, manipulation émotive, vocabulaire militaire et agressif, etc. Le manque de respect, de considération élémentaire envers le Québec est total. L’idée que la mesure puisse être justifiée n’est jamais évoquée un seul instant. Y a-t-il eu un seul texte dans les médias canadiens anglais qui admette que les universités anglaises au Québec sont bel et bien surfinancées et que les universités françaises sont sous-financées?
Malheureusement, la contre-réaction n’est pas venue uniquement du Canada anglais. Tout un pan de l’élite québécoise s’est aussi mobilisé pour faire annuler la mesure. Les députés du Parti libéral du Québec/Quebec Liberal Party sont entrés en campagne et, en particulier, il faut souligner l’activisme de la députée Marwah Rizqy, qui s’est investie sans compter pour faire reculer le gouvernement. Mentionnons également le recteur de l’Université de Montréal, Daniel Jutras, qui s’est empressé, de façon étonnante, de défendre McGill. Ce faisant, M. Jutras a agi contre les intérêts de l’institution qu’il prétend représenter, institution qui bénéficierait du rétablissement de la péréquation interuniversitaire. Les recteurs des universités françaises dotés d’une faculté de médecine (Sherbrooke, l’Université de Montréal, Laval) se sont également prononcés contre la mesure. Seuls les recteurs des composantes de l’Université du Québec se sont exprimés en sa faveur. Cela a pu nous faire constater qu’une bonne partie du système universitaire de langue française au Québec est « satellisé » et évolue dans l’orbite idéologique de McGill University.
Il est parlant que seule l’université la plus mise à mal par l’actuelle politique de financement, et une université « minore », non dotée d’une faculté de médecine (l’UQAM), ait osé rompre les rangs du consensus en faveur du statu quo.
Même les syndicats, faisant fi des iniquités en fonction de la langue qui résultent des politiques de financement, sont montés au créneau pour défendre McGill sous couvert hypocrite de dénoncer la « marchandisation » de l’éducation.
La capitulation
La vigueur de la réaction du Canada anglais, l’activisme d’une partie importante de notre élite politique, syndicale et universitaire en faveur de la défense des privilèges des anglophones, le manque de préparation et de cohérence du gouvernement du Québec pour ce qui est des objectifs visés par la refonte ont eu rapidement raison de la mesure initialement annoncée.
Les universités anglaises ont habilement manœuvré en se servant de l’objectif « ad hoc » greffé par le ministre de la Langue française (que la mesure freine le déclin du français) pour faire échec à l’objectif numéro un, soit l’atteinte d’un coût net nul pour les étudiants canadiens non-résidents. Leur manœuvre a consisté à proposer de « franciser » une partie (40%) de leurs étudiants non québécois en échange de l’abandon par le gouvernement de la hausse des frais de scolarité. Ce qui est entendu par « francisation » est l’atteinte, à l’oral seulement, d’un niveau intermédiaire (soit niveau 6) de français.
Deux mois après l’annonce initiale, la ministre Déry a donc reculé en bonne partie et a annoncé (sur X) que les frais de scolarité chargés aux canadiens non-résidents seraient de 12 000$/an en moyenne (et non 17 000$/an), soit une augmentation du tiers seulement (et seulement pour les étudiants de premier cycle). De plus, Bishop’s est entièrement exclue de cette augmentation.
L’objectif numéro un de la refonte a donc été abandonné; le Québec continuera de financer – sans restriction quant au nombre – les études des canadiens non-résidents dans les universités anglaises. Il s’agit, malgré le baroud d’honneur d’une augmentation du tiers, d’une défaite complète pour le gouvernement.
La ministre a annoncé qu’en échange du maintien du financement des canadiens non-résidents les universités anglaises les « franciseraient »; c’est-à-dire que 80 % des nouveaux inscrits non québécois dans un programme d’études anglophone devraient atteindre un niveau intermédiaire en français (niveau 5) au terme de leurs études de premier cycle. La ministre a donc monté les exigences quant à la proportion d’étudiants « francisés », mais baissé quant au niveau, les exigences passant du niveau 6 au niveau 5. Pour citer la ministre Déry : « « On francise, et c’est une très bonne chose. […] Mais ce qu’on souhaite aussi, c’est encourager et pousser les universités à aller [recruter des étudiants] dans des bassins plus francophones », a expliqué Mme Déry. Elle espère ainsi « changer le visage de Montréal » ».
Cette mesure de « francisation » d’étudiants choisissant d’étudier dans des programmes en anglais (et payant souvent très cher pour la chose), va-t-elle vraiment « changer le visage de Montréal »?
L’illusion de la « francisation » dans les institutions anglaises
Ce qui frappe ici, c’est la naïveté (ou le double discours?) d’un gouvernement du Québec qui prétend réellement croire que les institutions anglaises vont « franciser » leur clientèle. On peut voir là une manifestation de la volonté, très québécoise, de s’illusionner pour éviter de regarder les choses en face et de poser les gestes qui s’imposent. Car il est évident, d’emblée, que cette « francisation » sera tout à fait superficielle et ne changera aucunement le « visage de Montréal ».
Car, comme presque toujours lorsqu’il est question de langue, on confond ici la connaissance d’une langue avec son usage. Même si l’ajout de quelques cours de français est en soi une mesure intéressante qui aurait dû être prise il y a longtemps, il est frivole de penser que cela va mener à une quelconque « francisation » (un terme valise imprécis dans ce contexte) dans un milieu aussi anglicisant que McGill ou Concordia. Ces cours vont mener à une certaine connaissance du français, ce qui est mieux que rien, certes, mais la simple connaissance d’une langue ne mène pas à son usage. L’OQLF, dans l’étude mentionnée plus haut, vient de prouver que le fait d’avoir fait son diplôme postsecondaire en anglais multiplie par quatre les probabilités qu’un francophone ou allophone travaille ensuite en anglais au Québec et, qui plus est, que le fait d’avoir fait son diplôme postsecondaire en anglais réduit de façon majeure la préférence pour le français en tant que langue de travail (de 39,6 points pour les francophones, de 67 points pour les anglophones, et de 52 points pour les allophones) et augmente presque d’autant la préférence pour travailler en anglais. Les diplômés des institutions anglaises préfèrent souvent travailler en anglais même s’ils connaissent le français.
Le fait d’avoir fait son diplôme postuniversitaire en anglais affecte également substantiellement la langue d’usage publique, les jeunes francophones diplômés en anglais au cégep ou à l’université utilisant davantage l’anglais dans les commerces de proximité (18 fois plus) que ceux diplômés en français, et ce, même s’ils ont manifestement une excellente connaissance du français, bien supérieure au niveau intermédiaire! Et pour les allophones, les études en anglais au postsecondaire font basculer complètement la préférence de langue d’usage publique vers l’anglais.
La langue du diplôme postsecondaire change profondément l’univers culturel de référence de l’étudiant et fait de l’anglais la langue première d’une bonne partie de ceux qui effectuent leurs études postsecondaires en anglais. La « francisation » dans les universités anglaises sera, assumant très hypothétiquement qu’elle soit un succès, simplement d’établir le français comme une langue seconde (ou tierce) alors que la langue et la culture première ou de référence pour les étudiants restera souvent – comme le démontre l’OQLF – l’anglais. Pour imposer l’usage du français, il faudrait que les programmes d’études dans lesquels s’inscrivent les étudiants que l’on souhaite « franciser » dans les universités anglaises soient … en français.
Du reste, l’atteinte du niveau intermédiaire sera-t-il mesuré de façon objective via des examens normés contrôlés par le ministère de l’Enseignement supérieur? Il ne faudrait pas oublier que la Commission scolaire English Montreal s’est fait prendre à remettre des certificats de francisation bidons pour que des allophones ignorant totalement le français aient accès à la citoyenneté canadienne via le Programme de l’expérience québécoise. Présumer de la « bonne foi » des institutions anglaises semble risqué.
Les universités anglaises roulent le gouvernement dans la farine
Seulement 4 jours après l’annonce de la ministre Déry le 13 octobre, McGill a annoncé l’annulation d’un investissement de 50 millions de dollars en faveur de mesures de francisation. Mais pour ensuite « faire une offre historique » au gouvernement du Québec trois semaines plus tard en affirmant qu’elle allait investir pour « franciser » une partie (40%) des étudiants non québécois. Et six jours après l’annonce du recul de la ministre Déry le 14 décembre, McGill et Concordia ont annoncé la mise sur pied de programmes de bourses (3000$/étudiant pour McGill et 4000$/étudiant pour Concordia) pour financer la hausse du tiers exigée par Québec et garder les frais de scolarité au niveau antérieur.
On peut calculer que la « bourse Canada » de 3 000$ de McGill, annoncée en un claquement de doigt, coûtera à elle seule la moitié de la somme que celle-ci disait n’avoir pas les moyens d’investir en francisation au milieu du mois d’octobre. L’augmentation initialement prévue des frais de scolarité allait-elle vraiment causer la perte de 700 postes et la ruine de McGill? On peut en douter.
Conclusion
Cette saga a servi de double révélateur. Premièrement du mépris du Québec qui règne au Canada anglais. Deuxièmement du fait qu’une partie non négligeable des élites québécoises était, sous divers prétextes, directement ou indirectement, d’abord au service des intérêts du Canada anglais.
Cette séquence est profondément révélatrice de notre véritable situation nationale dans le Canada : celle d’une minorité annexée et méprisée dont les ressources sont en partie détournées au profit d’un autre peuple. Une situation que les Québécois s’efforcent de ne pas voir.
S’il n’est pas surprenant que le PLQ/QLP ait servi de cinquième colonne pour défendre les intérêts du Canada au Québec, il est plutôt étonnant de constater que les recteurs des grandes universités de langue française aient travaillé contre les intérêts de leurs propres institutions et contre les intérêts du Québec français. On peut voir là un marqueur de l’emprise idéologique et financière croissante d’Ottawa sur le système universitaire québécois.
Quant au rôle de certains syndicats, il faut souligner que ceux-ci sont les mêmes qui se taisent ou tentent de noyer le poisson sur la mobilisation de milliers de leurs membres en faveur de l’imposition de la loi 101 au cégep. Voilà une autre révélation : ces syndicats, qui défendent d’abord leurs membres, défendent de ce fait indirectement les privilèges des institutions anglaises et le statu quo beaucoup plus qu’ils ne luttent pour la « justice sociale ».
Car il s’agit bien, en dernier recours, d’une question de justice. Celle-ci voudrait que les ressources de l’État du Québec en éducation aillent prioritairement à fermer l’écart de diplomation qui persiste toujours, soixante ans après la Révolution tranquille, entre les francophones et anglophones.
Dans un rapport marquant qui a été ignoré (p.49), Lise Bissonnette et John R. Porter dénonçaient la sous-diplomation des francophones et la canalisation de ceux-ci dans des diplômes « légers » (des certificats), moins lucratifs que les diplômes de grades: « Quand on oublie les données agrégées de l’ensemble de nos universités, quand la comparaison est menée à l’intérieur du Québec même, entre universités francophones et anglophones, on constate que les écarts selon la langue sont déterminants. Le taux d’atteinte des diplômes de grade se situe et souvent dépasse la moyenne canadienne et ontarienne pour nos universités de langue anglaise (soit environ 90 %) et certaines de nos plus importantes universités de langue française se situent sous la barre du 60 %. Le temps est certes venu de faire le point sur cet aspect de notre société distincte et surtout d’éviter le raccourci qui tend à en faire une qualité, à mettre au compte de la vertu d’accessibilité. Si l’on souhaitait mettre en lumière la différence entre la notion d’accessibilité et celle de l’égalité des chances, les données de diplomation seraient probantes entre toutes. L’université se rend certes accessible en accueillant des inscrits dont le nombre est plus élevé que jamais et dont la provenance sociale est plus diversifiée que jamais. Mais ces nouveaux venus sont-ils trop souvent dirigés vers des études dont la valeur est moindre pour l’avenir? Obtiendront-ils à l’université des chances égales à celles qu’offrait et qu’offre toujours la diplomation traditionnelle? Leur « autre diplôme » aura-t-il quelque valeur utilisable sur le marché des « vrais » diplômes que sont les diplômes de grade? »
S’il faut souligner le courage de la ministre de l’Enseignement supérieur à s’attaquer enfin, quoique faiblement, à la question des iniquités de financement en fonction de la langue, il faut du même souffle déplorer le manque de préparation et de cohérence du gouvernement et le rôle néfaste et brouillon joué par le ministre de la Langue française dans ce dossier.
L’impression générale qui se dégage est que le Premier ministre du Québec n’avait pas conscience, en ouvrant cette boite de Pandore, de s’attaquer à l’un des piliers du régime canadien, soit le fait que l’hypertrophie des universités anglaises au Québec résulte du fait que celles-ci sont au service aussi (d’abord?) du Canada et constituent, de facto, une partie non négligeable du réseau universitaire des provinces anglaises (mais situé au Québec et financé par celui-ci). M. Legault a traité cette question comme si l’utilisation des ressources de l’État du Québec pour financer les études universitaires des jeunes anglophones de partout au Canada était une aberration inexplicable alors qu’elle constitue en fait l’un des fondements même du pays et du régime auquel il dit par ailleurs adhérer.
L’impact financier de la refonte annoncée, dans sa version revue, reste à voir. Mais on sait d’emblée que celui-ci ne sera pas suffisant pour soulager, de façon autre que marginale, le sous-financement profond dont souffrent les universités françaises au Québec. L’iniquité de financement universitaire en fonction de la langue reste quasiment entière. Les ressources du seul État français en Amérique seront toujours utilisées pour assurer le maintien d’un avantage compétitif pour ce qui de la diplomation universitaire des anglophones de partout au Canada.
Comme l’écrivent Bissonnette et Porter (p.53) : « Nous évoquons l’Université, point focal d’une société qui ne pourrait avoir de hautes aspirations sans elle. Il est impossible d’éprouver un désir d’avenir sans éprouver un désir d’université ».
L’éducation étant au cœur de l’avenir d’un peuple, si les Québécois veulent avoir un avenir, il faudra reprendre ce dossier.