Frédéric Bastien est mort. Ces mots couchés sur le papier me semblent irréels, obscènes. Nous nous étions parlé moins d’une semaine avant son décès. Nous échangions régulièrement sur toutes sortes de sujets touchant le Québec. Frédéric et moi étions sensiblement du même âge, avec des parcours différents mais semblables, unis par la passion du Québec et la haine de l’injustice et du sort qui nous est collectivement réservé au Canada.
Il préparait une chronique sur le surfinancement des institutions anglaises au Québec. Elle ne verra jamais le jour. Dans la foulée, je lui avais suggéré d’écrire un texte sur André Laurendeau, l’homme qui a fait le pari du Canada bilingue avec la commission Laurendeau-Dunton dans les années soixante, et qui pensait que le Québec pourrait s’épanouir dans un Canada bilingue. On comprend aujourd’hui, l’actualité nous le souligne à gros traits chaque jour qui passe, que Laurendeau a perdu son pari. Il est mort avant la fin de la commission qui porte son nom, laissant un vide immense dans le monde intellectuel québécois. Cette chronique sur Laurendeau ne verra jamais le jour non plus. Comme tant d’autres chroniques qu’il avait en lui. Si Frédéric Bastien laisse un héritage intellectuel important, on comprend qu’il ne faisait que commencer. On reste étourdi, hébété devant l’idée de ce dont sa mort précoce nous a privés collectivement.
Si, dans ses chroniques, il savait frapper fort et juste et mettre en lumière ce que plusieurs préfèreraient garder caché, c’est dans son action militante qu’il occupait un créneau unique dans le mouvement nationaliste. Sa capacité sidérante à s’opposer au régime canadien à lui tout seul, son don pour « retourner les statues pour voir les vers qui grouillent » nous a fait comprendre que le régime canadien est un colosse aux pieds d’argile, un colosse marqué par une profonde illégitimité. A cet égard, son livre « La bataille de Londres », où il démontre noir sur blanc qu’Ottawa a violé une règle de base en démocratie (la séparation des pouvoirs) afin d’arriver à ses fins (rapatrier la Constitution et annexer une Charte des droits qui lui permette de charcuter la loi 101), est une grande œuvre. Le Canada né en 1982 est un pays marqué par une illégitimité fondamentale. Frédéric Bastien l’a prouvé.
Son combat contre les juges partisans nous a aussi fait voir qu’un des moyens majeurs de domination d’Ottawa sur le Québec est son contrôle de l’institution juridique. Bastien nous a fait comprendre qu’avec son pouvoir de nomination de juges fidèles et acquis au régime, c’est toute la séparation des pouvoirs entre le juridique et l’exécutif qui tient largement de la fiction au Canada, surtout quand vient le temps de combattre le Québec.
A lui seul, Bastien a fait plus pour mettre en lumière la « question du régime » comme il l’appelait, que les gouvernements du Québec depuis des décennies.
Avec son courage, sa fermeté, sa capacité à maintenir le cap, souvent seul, durant des années, guidés par des principes, avec des moyens dérisoires ou inexistants, cet homme avait indubitablement quelque chose de gaulliste.
Il me manquera. Et je pense qu’il nous manquera aussi.