Lors du débat des chefs à Radio-Canada le 22 septembre dernier, M. Legault accusait le chef du Parti québécois, Paul Saint-Pierre Plamondon, d’avoir changé d’idée sur la loi 101 au cégep et le chargeait de vouloir « empêcher les francophones de perfectionner leur anglais ».
Au-delà du parfait aplaventrisme avec lequel M. Legault traite la question du cégep français, question pourtant vitale pour notre avenir collectif, il faut souligner qu’il y a eu une évolution et un changement de vocabulaire de sa part. En effet, lors du dépôt du projet de loi 96 le 13 mai 2021, il affirmait que ceux qui voulaient imposer les clauses scolaires de la loi 101 au cégep voulaient « empêcher les francophones d’apprendre l’anglais ». Il est donc passé, en un an, « d’empêcher d’apprendre l’anglais » à « empêcher de perfectionner l’anglais ».
M. Legault admet donc implicitement qu’effectivement, les francophones qui vont au cégep anglais parlent déjà anglais, qu’ils sont déjà bilingues. Il faut saluer cette prise de conscience de sa part, même si elle est fort partielle, suinte la restriction mentale et arrive très tardivement.
Mais examinons sa nouvelle posture : imposer la loi 101 au cégep serait « empêcher les francophones de perfectionner leur anglais ». M » Legault pense donc que le réseau des cégeps anglais a été créé non pas seulement pour assurer une éducation dans leur langue aux anglophones, mais pour que les francophones perfectionnent leur maitrise de l’anglais.
Le français, une langue infantile
Autrement dit, il ne suffit pas aux francophones de parler anglais, d’être bilingues, il faudrait plutôt que ceux-ci aient pour objectif d’atteindre une maitrise supérieure de l’anglais pour se hisser, symboliquement, au même niveau que les anglophones. Les francophones qui ont de l’ambition et veulent réussir dans la vie doivent aller au cégep anglais perfectionner leur anglais et ceux qui n’en ont pas peuvent aller au cégep français. Et cela doit être fait aux frais de l’État québécois, qui n’a pourtant, théoriquement, que le français comme « langue officielle et commune ».
Remarquons que la nécessité de perfectionner son français en effectuant des études postsecondaires dans cette langue n’a jamais été évoquée par M. Legault (ou par aucun autre ministre du gouvernement actuel du Québec à ma connaissance). Une maitrise du français bloqué au niveau du secondaire suffit, nul besoin de perfectionner cette langue passé le secondaire 5, voilà le non-dit qui émane du discours gouvernemental. Tout cela, bien sûr, M. Legault ne le dit pas, mais il est impossible de comprendre sa posture sans admettre ce qui se cache derrière. Parfois, le silence parle plus fort que les mots.
M. Legault est donc d’accord, par omission, avec la notion de « français, langue infantile » évoquée par l’essayiste et professeur Marc Chevrier, notion qui se cache implicitement derrière l’insistance frénétique du gouvernement du Québec à préserver le soi-disant « libre-choix » de la langue d’enseignement au postsecondaire, même si celui-ci est en train de nous plonger dans le cauchemar de l’assimilation collective. La « fierté », c’est bien, mais il ne faudrait surtout pas que cette soi-disant fierté ait des conséquences concrètes dans la réalité.
De la nécessité de perfectionner le français
Pourtant la nécessité pour certains (plusieurs? une majorité?) jeunes de perfectionner leur français crève les yeux dans plusieurs reportages et études ayant fait les manchettes récemment.
Mentionnons : 1) cette petite étude de Jonquière qui indique que la moitié des cégépiens n’écoutent leurs films et leurs séries qu’en anglais 2) ces francophones qui choisissent d’étudier en anglais à l’université (Concordia ou McGill), dont l’univers mental est complètement américanisé et qui sont incapables de formuler une phrase en français avec une syntaxe et un vocabulaire adéquat 3) ces étudiantes francophones de Québec qui communiquent en anglais entre elles, souhaitent aller au cégep anglais et rêvent de faire leur vie dans cette langue 4) ce vox pop de Guy Nantel où l’on voit des étudiants de Dawson College étaler à la fois leur ignorance spectaculaire de la culture québécoise et leur oubli de mots français de base comme « trombone » 5) ces données qui indiquent que les jeunes québécois passent en moyenne quatorze heures trente par semaine à jouer à des jeux vidéos en anglais.
Ce florilège d’exemples récents est « anecdotique », soit, mais ceux-ci convergent avec des données plus scientifiques qui indiquent que l’irruption de l’univers numérique autour de la moitié des années 2000 a conduit à une mutation brutale du profil de consommation culturel chez les jeunes. Les jeunes se sont largement détournées de la culture québécoise et consomment, à très grande échelle, de la culture américaine en anglais. Une majorité de jeunes sont donc plongés, hors de l’école, en immersion anglaise. Ce à quoi, comme si cela ne suffisait pas, notre clairvoyant ministère de l’éducation a jugé bon de rajouter l’anglais en première année et l’anglais intensif en sixième année du primaire. Quelques heures de cours de français par semaine sont largement insuffisantes pour faire contrepoids à l’immersion anglaise permanente que subissent les jeunes hors de l’école.
Il se produit actuellement au Québec, en silence, un effondrement culturel de grande ampleur. La transmission de la culture québécoise aux jeunes générations est largement enrayée. Or, l’acculturation est l’étape qui précède l’assimilation linguistique. Si cette dernière est en plein essor à Montréal, comme l’indiquent les données du dernier recensement, la première en est à une étape avancée et on commence tout juste à en parler ouvertement. L’assimilation linguistique va donc prendre une grande ampleur d’ici une décennie ou deux.
Mine de rien, le Québec se trouve plongé dans la plus grave crise linguistique et culturelle de son histoire récente.
Le refus persistant du cégep français par M. Legault illustre son incompréhension spectaculaire des dynamiques qui sont maintenant en place et qui grignotent le Québec français par la base. Le refus de M. Legault garantit que rien ne freinera l’assimilation des francophones au Québec.
Et celle-ci aura été financée, largement, par le gouvernement du Québec.