Mesures cosmétiques ou costaudes?

LA « NOUVELLE LOI 101 » DE LA CAQ

Au mois de mars, le ministre responsable de la Charte de la langue française, Simon Jolin-Barrette, après plus d’un an et demi de travail, de consultations et de réflexion, déposera vraisemblablement une nouvelle mouture de la loi 101. La CAQ va-t-elle livrer les « mesures costaudes » promises par le ministre, mesures qui assureront vraiment l’avenir du Québec français ou va-t-elle surtout nous servir des mesures cosmétiques destinées à nous rassurer, voire à nous endormir?

La CAQ a déjà envoyé de multiples signaux qui indiquent qu’elle n’osera pas aller au fond des choses et que sa « nouvelle loi 101 » ressemblera plus au « bouquet de mesures » passées par le PQ en 2001 qu’à la loi 101 de Camille Laurin de 1977, qui était l’équivalent d’un tremblement de terre constitutionnel. Voici trois exemples de ces signaux :

1) La question linguistique ne semble pas prise au sérieux au plus haut niveau de l’État québécois : non seulement le gouvernement Legault n’a posé absolument aucun geste concret en faveur du français depuis octobre 2018 (songeons, par exemple, aux 400 000 factures unilingues anglaises envoyées par Hydro-Québec; un simple appel de sa part aurait pu mettre fin à ce subterfuge), mais il a fait pire en institutionnalisant les conférences de presse bilingues du gouvernement du Québec, envoyant ainsi un signal fort que le Québec est, peu importe ce que la Charte de la langue française affirme, un État bilingue. La pandémie a le dos large. Pendant ce temps, ailleurs au Canada, le gouvernement de l’Ontario, où réside une importante minorité francophone, tient ses conférences de presse en anglais et le gouvernement du Nouveau-Brunswick, officiellement bilingue, est incapable de respecter ses obligations constitutionnelles envers le français. Au Canada, le bilinguisme n’est bon que pour les francophones.

2) La CAQ, c’est la Coalition avenir Québec : une coalition entre des nationalistes et des fédéralistes. Or, tout indique que l’aile fédéraliste domine nettement à la CAQ. En témoignent de façon éloquente les projets d’agrandissement de Dawson College (au moins 100 millions de dollars) et de McGill University (probablement 1 milliard de dollars) en faisant don à cette institution privée de l’hôpital Royal Victoria (l’équivalent de la Place Ville-Marie en termes de superficie). Ces deux projets ont été inclus dans le projet de loi 61, projet de loi qui n’a pas pu être voté en juin 2020, et ont été réinclus dans la nouvelle mouture du projet de loi, la loi 66, votée en décembre dernier. Les deux projets d’agrandissement de ces institutions anglophones, l’une étant déjà le plus gros cégep au Québec et l’autre, l’université la plus riche (et la plus magnifique), ont été « priorisés » avec cette loi, comme s’il s’agissait d’une urgence nationale. Il faut de plus souligner que ces deux projets ont été réinclus dans la loi 66 même après que les critiques eurent fusé de toutes parts lors du dépôt du projet de loi 61 (surtout pour Dawson). Il y a donc, à la CAQ, une volonté manifeste, explicite, de continuer les politiques délétères du PLQ en ce qui concerne le surfinancement des institutions postsecondaires anglophones. L’aile fédéraliste triomphe.

3) Après une coupure cosmétique et temporaire des seuils d’immigration de 20 % pendant deux ans, la CAQ a tassé Simon Jolin-Barrette du ministère de l’Immigration et est revenue aux seuils d’immigration du PLQ, soit 50 000 immigrants par année. On peut débattre pendant longtemps des seuils d’immigration qui seraient appropriés pour le Québec, simple province où l’anglais livre une concurrence féroce au français comme langue d’intégration, mais rappelons que ces seuils ont doublé depuis la prise du pouvoir par le PLQ en 2003 et que le vérificateur général avait révélé, dans un rapport publié en 2017, que la francisation au Québec était un véritable « fiasco ». À peine 30 % des 50 000 immigrants ne parlant pas français participaient à des cours de francisation. Au Québec, la francisation est optionnelle et cela est toujours vrai en 2021. Il faut d’ailleurs souligner que le gouvernement du Québec assure le bilinguisme intégral des services publics, ce qui permet à chacun de choisir la langue qu’il préfère dans ses interactions avec l’État. Le Québec, sans l’avouer, a copié la Loi sur les langues officielles fédérale.

Il faudra donc surveiller attentivement ce projet de loi sur la langue. Il ne faudra pas hésiter à rappeler à la CAQ qu’un « nationalisme » qui se cantonne aux beaux discours sans s’incarner dans les gestes et dans l’action est une forme d’opportunisme politique et de double jeu. Double discours qui est caractéristique, comme l’exprime fort bien l’écrivain Jean Bouthillette, des « peuples dominés ».