Youpi, le français langue publique est stable!

L’Office québécois de la langue française (OQLF) vient de frapper fort en publiant une étude qui conclue que non seulement l’usage du français dans l’espace public serait demeuré stable depuis 2007, mais qu’en même temps, l’usage de l’anglais aurait diminué!

Que voilà une excellente nouvelle totalement inespérée!

Cette stabilité du français comme langue d’usage public depuis 2007 est d’autant plus remarquable que, sur la période 2006-2021, la proportion de francophones, langue maternelle, a chuté de 3,3% et celle de francophones, langue parlée le plus souvent à la maison, a reculée de 2,7% au Québec. La proportion de francophones, la seule population qui utilise massivement le français dans l’espace public, est en chute libre mais cela n’affecte pas l’usage du français. Impressionnant.

En même temps, le nombre de ceux qui ne connaissent pas le français au Québec est en augmentation constante. Ainsi, selon le Commissaire à la Langue française, le nombre d’immigrants temporaires est passé de 86 065 en 2016 à 528 034 en 2023. Environ le tiers de ces immigrants ne connaissent pas le français et ils forment actuellement environ 6% de la population du Québec. Depuis 2011, la part de la population qui ne connaît pas le français a augmenté de 52 % et celle de ceux qui travaillent en anglais de 41 %. La connaissance du français chez les anglophones a aussi reculé au recensement 2021, passant de 68,8% à 67,1%, soit une chute de 1,7 point (et la première chute de cet indicateur depuis des décennies).

Quand on met tout ça ensemble, la résistance du français comme langue d’usage public, alors que l’on assiste à un effondrement de la proportion de francophones et à l’augmentation de la non connaissance du français et de l’unilinguisme anglais au Québec, est absolument remarquable. De 2016 à 2022, l’usage public du français aurait même augmenté de 0,3% selon le sondage de l’OQLF, durant une période pourtant marquée par l’explosion du nombre de non locuteurs de français.

Encore plus frappant dans ce sondage est la diminution de l’usage de l’anglais comme langue public de 2016 à 2022, usage qui est passé de 11,4% à 8,2%, soit un déclin massif de 3,2 points. Celui-ci avait pourtant augmenté de 1,4 point de 2007 à 2011. La proportion d’anglophones a pourtant augmenté de 2006 à 2021 selon les données de recensement, passant de 8,2% à 8,8% (langue maternelle) et de 10,6% à 10,7% (langue parlée le plus souvent à la maison). Alors que les anglophones sont très peu nombreux à utiliser le français comme langue publique, l’augmentation de la proportion d’anglophones dans la population est corrélée à une diminution de l’anglais comme langue publique. Formidable!

Trêve de plaisanteries.

En général, si c’est trop beau pour être vrai… c’est que ce n’est pas vrai. Fin du rêve éveillé.

Alors que tous les indicateurs linguistiques pour le français sont en recul et que l’anglais au Québec est pétant de santé, ce sondage vient fournir une donnée aberrante à un portrait qui est autrement cohérent. En science, en l’absence de données supplémentaires qui vont dans le même sens, un point discordant sur une courbe sera interprété plus souvent qu’autrement comme une erreur de mesure. Il y a tout lieu de croire que c’est le cas avec ce sondage. Sur Facebook, le démographe Guillaume Marois s’est d’ailleurs livré à une critique de sa méthodologie (ici) en soulignant que le taux de non réponse pour le sondage de 2016 était de 54% et qu’il atteignait 77% pour celui de 2022 (ici).

Ces taux de non réponse extrêmement élevés sont susceptibles d’induire un biais dans l’échantillon, qui n’est alors plus aléatoire. Il est fort probable que, dans ces sondages de l’OQLF, le taux de non réponse pour les allophones et les anglophones soit beaucoup plus élevé que pour les francophones. Tout ceci n’est pas considéré dans la petite section traitant de méthodologie de l’étude, qui est d’ailleurs fort mince. Le sondage a d’ailleurs été sous-traité à une firme privée.

Notons que plusieurs revues (comme le Journal of the American Medical Association) obligent à caractériser les non répondeurs afin d’évaluer les biais potentiels d’un sondage dès que le taux de non réponse dépasse un certain seuil variant entre 20 et 40%. L’absence de ce type de précaution méthodologique élémentaire est suffisante pour faire rejeter d’emblée un article. Le sondage de l’OQLF n’aurait donc jamais pu être publié dans une revue avec révision par les pairs.

Sur X, le ministre de la Langue française, en partageant l’étude de l’OQLF, a attribué la « stabilité » de l’usage du français aux « politiques favorisant l’utilisation du français », référant sans doute à celles mises en place avec la loi 96. La loi 96 a cependant été adoptée seulement en juin 2022 et plusieurs de ses articles ne sont même pas encore en application. Est-ce le débat entourant la loi 96, qui faisait rage à l’époque de la collecte de données du sondage (mars et mai 2022), qui a fait raccrocher de nombreux anglophones face à un sondage commandité par l’OLQF? Ceci aurait pu causer le biais dans les données qui transparait dans la chute remarquable de l’usage de l’anglais entre 2016 et 2022. Voilà qui serait logique.

L’OQLF aurait aussi pu remonter jusqu’à 1997 et non 2007 dans son suivi longitudinal de la langue d’usage public et inclure la première étude réalisée par Paul Béland pour le Conseil de la langue française. Cette étude avait trouvé que le français était utilisé alors globalement 85% du temps au Québec, l’anglais 11% et l’anglais et le français seulement 3% du temps. Mais au lieu de conclure à une « stabilité » de l’usage du français, l’OQLF aurait été alors forcé d’écrire qu’il y avait, depuis 1997, un déclin de l’usage du français globalement au Québec et que ce déclin était particulièrement marqué sur l’île de Montréal (-6 points depuis 1997).

Ce n’est pas la première fois que l’OQLF nous fait le coup d’annoncer une fausse « stabilité » dans les données linguistiques. La dernière fois était en 2018, sous un gouvernement libéral. L’OQLF avait alors clamé, en se basant sur le même type de sondage que celui qu’ils viennent de publier, que « l’usage du français au travail est à peu près stable depuis près de 20 ans ». Ce qui était parfaitement faux, comme les données du recensement 2016, publiées une semaine plus tard, avait démontrées. Une série historique sur la langue de travail publiée par Statistique Canada démontre clairement que le français comme langue de travail se casse la gueule au Québec depuis 20 ans.

Malheureusement, Statistique Canada ne mesure pas la langue d’usage public. Si l’OQLF veut vraiment mesurer cet indicateur de façon rigoureuse, elle pourrait faire affaire avec une firme de sondage plus sérieuse, comme Léger, qui semble avoir fait un effort pour constituer des panels avec sélection aléatoire. Ou bien l’OQLF pourrait innover et au lieu d’y aller avec des questionnaires rétrospectifs, une méthode abandonnée dans plusieurs domaines car trop sensible aux biais, se baser, par exemple, sur la langue réellement utilisée dans les services de santé ou d’autres services publics.

Bref, alors que le déclin du français est évident comme jamais dans notre histoire, l’amateurisme de l’OQLF est non seulement gênant, il devient franchement inacceptable. Le commissaire à la Langue française, qui est indépendant du gouvernement, devrait se pencher sur ce dossier.