La formation professionnelle au secondaire : un trou béant dans les clauses scolaires de la loi 101

Introduction

Le diplômes d’études professionnelles (DEP) est une sanction attestant que l’élève a complétée, au niveau secondaire, un programme d’études professionnelles menant à un métier ou une profession. La formation professionnelle est intégrée dans l’offre des « Centres de services scolaires ».

Étrangement, les clauses scolaires actuelles de la Charte de la langue française ne s’appliquent ni à la formation professionnelle (FP), ni à la formation aux adultes. La Charte se borne essentiellement à indiquer que « l’enseignement se donne en français dans les classes maternelles, dans les écoles primaires et secondaires sous réserve des exceptions prévues à la présente section »[1].

Une commission scolaire francophone peut donc donner de la formation professionnelle en anglais, puisque ce type de service éducatif n’est pas attaché de manière spécifique, dans la Charte de la langue française ou dans la Loi sur l’instruction publique, à la vocation linguistique d’un centre de service scolaire. Et un centre de service anglophone peut admettre tous les adultes, sans suivre les critères d’admissibilité appliqués aux enfants. Ces cours sont « ouverts à tous, indépendamment de la langue d’instruction des parents » comme le publicise la « Table interordres provinciale du secteur anglophone »[2].

Les clauses scolaires de la loi 101 ne sont donc pas rattachées à l’obtention du diplôme d’études secondaires (le DES) mais, indirectement, via la Loi sur l’instruction publique (LIP), à l’âge de la « majorité » de l’élève, âge qui est fixé à 16 ans par la LIP.[3]

Quelles sont les conséquences de fixer ainsi l’âge de la « majorité » à seize ans dans la LIP?

Des données ont été obtenues sur la langue maternelle et la langue d’enseignement à la FP dans le réseau scolaire secondaire public anglophone et francophone pour la période 2002-2022.

Centre de services scolaires de langue française

La figure 1 présente la proportion d’étudiants francophones, anglophones et allophones (« autre »), langue maternelle, inscrits à la FP dans les Centres de services scolaires de langue française au cours de la période 2002-2021

A la figure 1, l’on constate qu’il y a une augmentation graduelle de la proportion d’allophones inscrits à la FP en français au cours des 20 dernières années, celle-ci passant de 4,63% en 2002 à 15,07% en 2021, soit une augmentation d’un facteur 3,25. La proportion d’anglophones est passé de 0,5% à 1,1% durant la même période et la proportion de francophones, de 94,9% à 83,8%.

Comme les Centres de services scolaires francophones offrent également de la FP en anglais, la figure 2 présente les données pour la proportion de francophones, anglophones et allophones inscrits dans des programmes en anglais dans ceux-ci.


L’on constate, à la figure 2, une grande variabilité dans les données. La raison en est le très petit nombre de personnes inscrites dans des formations en anglais dans les Centres de services scolaires francophones. Le tableau 1 présente les chiffres absolus pour l’effectif étudiant en fonction de la langue maternelle et de la langue d’enseignement pour les Centres de services scolaires francophones pour l’année 2021.

Tableau 1 : Langue maternelle des étudiants selon la fréquentation de l’enseignement en français ou en anglais dans les Centres de services scolaires francophones en 2021

Langue maternelleEnseignement en françaisEnseignement en anglais
Français98 99762
Anglais1 349168
Autre17 803139
Total118 149369

L’on constate au tableau 1 que l’enseignement en anglais capture 0,31% des effectifs inscrits dans les centres de services scolaires francophones à la grandeur du Québec. Dans les Centres de services scolaires francophones, la formation en anglais est très peu populaire.

Commissions scolaires de langue anglaise

La figure 3 présente la proportion d’étudiants francophones, anglophones et allophones (« autre ») inscrits à la FP dans les Commissions scolaires de langue anglaise au cours de la période 2002-2021.

L’on constate que la langue maternelle des étudiants inscrits à la FP a connu un renversement majeur au tournant de 2013, passant d’une faible majorité d’anglophones à une majorité d’allophones (63,4% en 2021) et ceci, à la grandeur du Québec. Le nombre d’allophones inscrits à la FP en anglais dans les Commissions scolaires anglophones a quadruplé depuis 2022, passant de 2 380 personnes en 2002 à 9 654 personnes en 2021. Depuis 20 ans, 131 842 allophones ont été formés en anglais dans les Commissions scolaires anglophones, ce qui équivaut à 57,8% de l’effectif total. Les anglophones ne représentent que 34,6% du total des élèves formés durant la même période.

En 2021, les allophones inscrits à la FP étaient 2,2 fois plus nombreux que les anglophones (4 476 personnes). Les francophones sont également, en nombre absolu, un peu plus nombreux à fréquenter la FP en anglais, passant de 819 personnes en 2002 à 1093 personnes en 2021.

La figure 4 présente les mêmes données que la figure 3, mais en termes de chiffres absolus.

L’on peut constater que les allophones sont nettement majoritaires dans la FP dans les Commissions scolaires anglophones.

Il faut souligner que la FP en français est aussi offerte, symétriquement à la FP en anglais dans les Centres de services scolaires francophones, dans les Commissions scolaires anglophones. Le nombre d’anglophones inscrits à ces formations est si faible que les données tombent à zéro après 2006. Pour les francophones et allophones, le nombre d’inscriptions ne dépasse pas quelques dizaines de personnes et tombe à zéro après 2016.

Le tableau 2 présente les chiffres absolus pour le l’effectif étudiant en fonction de la langue maternelle et de la langue d’enseignement pour les Commissions scolaires anglophones pour l’année 2021.

Tableau 2 : Langue maternelle des étudiants selon la fréquentation de l’enseignement en français ou en anglais dans les Centres de services scolaires anglophones en 2021

Langue maternelleEnseignement en françaisEnseignement en anglais
Français01 093
Anglais04 476
Autre09 654
Total015 223

L’on constate au tableau 1 que l’enseignement en anglais capture 100% des effectifs inscrits dans les Commissions scolaires anglophones à la grandeur du Québec. La FP en anglais capture 11,7% des effectifs totaux inscrits dans un programme de formation professionnelle au Québec.

Soulignons que pour le Québec au complet, 96,2% des anglophones sont inscrits à la FP en anglais, 98,8% des francophones sont inscrits en français, mais 64,5% seulement des allophones sont inscrits à la FP en français (35,5% sont inscrits en anglais).

Montréal

La figure 5 montre la proportion d’allophones constituant la clientèle des programmes de FP à la Commission scolaire English Montreal.

L’on peut constater que, depuis 20 ans, la proportion de la clientèle constituée d’allophones oscille entre 60 et 90% du total. Sur cette période, cela représente 84 938 personnes.

Conclusion

La FP n’est pas, d’abord et avant tout, au service de la communauté anglophone. Le Régime pédagogique de la formation professionnelle est complètement muet pour ce qui s’agit de la langue, à part en ce qui concerne la qualité de la langue (langue qui n’est même pas spécifiée!)[4].

Ce flou, ce trou béant dans les clauses scolaires de la Charte de la langue français fait en sorte que la FP dans les centres de services scolaires est devenue un important conduit pour l’anglicisation des allophones. En 20 ans, 135 637 allophones ont été formés en anglais en FP dans les Centres de services scolaires du Québec. Cela correspond à 37,4% de tous les allophones formés en FP durant cette période.

Partout où il s’applique dans le système d’éducation, le libre-choix de la langue d’enseignement produit des effets délétères sur la vitalité du français. La FP en est une autre illustration saisissante.


[1] Art. 72, https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/c-11

[2] https://www.inforoutefpt.org/ministere_docs/adminInfo/Guide_formation_professionnelle_anglais.pdf

[3] Art. 12, https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/i-13.3,%20r.%2010

[3] Art. 28, https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/i-13.3,%20r.%2010