Les Pas perdus

Le Québec, c’est connu, a un grave problème avec la mémoire, la transmission, le patrimoine. En témoigne, par exemple, l’hécatombe continue des bâtiments patrimoniaux succombant sous le pic de démolisseurs pour être remplacés dans des édifices en toc, laids la plupart du temps, qui ne dureront pas 30 ans. En témoigne également la mort lente (ou rapide) réservée au patrimoine immatériel, c’est-à-dire aux arts qui relèvent de notre folklore.

Les « Pas perdus », une série de « documentaires scéniques » conçus par Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier, explorent notre lien à la transmission du patrimoine immatériel en utilisant l’exemple de la gigue, un art, comme le dit crûment l’un des gigueurs sur scène, dont on a collectivement honte, instinctivement, sans même trop savoir pourquoi.

L’extrait de l’émission les Francs-tireurs présentée sur scène où Richard Martineau se moque et démolit une jeune femme qui pratique la gigue (donnons-lui le bénéfice du doute; il a probablement changé d’idée depuis) exprime parfaitement notre rapport collectif avec le « folklore »: une patente de vieux croulants, pas intéressante, honteuse, une culture de ploucs, une culture de pauvreté que l’on veut oublier au plus sacrant. Le projet collectif du Québec, en ce moment, c’est de nous délester, de nous débarrasser de nous-mêmes pour enfin entrer dans la modernité (qui est surtout américaine mais qui est d’abord et avant tout n’importe quoi plutôt que québécoise).

Cette pièce est particulièrement efficace pour tourner le fer dans la plaie: oui nous avons honte de notre culture, oui nous avons honte de qui nous sommes. A notre décharge, il faut dire que nous nous faisons répéter depuis 250 ans que nous sommes des « pas bons », des « moins que rien » et que plus tôt notre culture disparaitra, mieux ce sera. Ce mépris de soi plaqué sur nous par le colonialisme Britannique et maintenant Canadien a été profondément internalisé. La destruction du patrimoine matériel, le désintérêt pour le patrimoine immatériel, la fuite éperdue dans l’altérité est un reflet de notre mépris de nous-mêmes.

Mais cette pièce est un magnifique moment de transcendance qui rachète un peu et qui nous fait oublier, ne serait-ce qu’un instant, l’écroulement culturel collectif en cours. La réhabilitation de notre culture commence par la réalisation que celle-ci est unique, précieuse, magnifique et que nous avons le droit, à l’instar des autres peuples, de vivre.

A voir!

https://www.lediamant.ca/fr/programmation/pas-perdus/