« Nuancer » ou noyer le poisson?

Mme Stéphanie Chouinard, pour qui j’ai beaucoup d’estime, affirme dans un article de Radio-Canada que mon analyse établissant un lien entre le surfinancement des universités anglaises au Québec et l’anglicisation en cours « manque de nuances » parce qu’elle ne tiendrait pas compte de la « langue parlée à la maison » ainsi que de « la langue de socialisation ». Elle affirme que « parce que j’utilise l’anglais au travail, dit-elle, ça ne veut pas dire que je l’utilise dans les commerces, que j’achète ma pinte de lait en anglais parce que j’ai étudié en anglais ». Selon elle, nous (Nicolas Bourdon et moi) « extrapolons les données de Statistique Canada » et que cette thèse de l’anglicisation par les études postsecondaires serait « forte en café ». Elle se range donc plus ou moins, les gros mots en moins, du côté du député libéral Francis Drouin.

Est-ce que Mme Chouinard, une ardente défenderesse des francophones hors Québec et partisane d’universités « par et pour les francophones » est réellement en train de nous dire que la langue des études postsecondaires n’est pas vraiment importante? Si oui, il s’agit d’un foudroyant recul pour les franco-ontariens qui se battent depuis des décennies pour obtenir des universités de langue française et pour en avoir le contrôle.

Radio-Canada ayant malencontreusement oublié de me contacter pour obtenir ma réaction face à ces propos afin d’offrir aux lecteurs un sain contrepoids démontrant un souci de l’équilibre journalistique, j’ai décidé de compiler ici les études qui étayent cette thèse et cette affirmation, dans un format qui permet une exposition plus détaillée que celle que permet une courte présentation de cinq minutes en comité. Voici donc.

Statistique Canada

Statistique Canada a réalisé une étude intitulée « La langue de travail des diplômés d’établissements postsecondaires de langue française, de langue anglaise ou bilingues » en 2022, étude qui établit un lien fort entre le fait d’avoir étudié en anglais au postsecondaire (au Québec et hors Québec) et l’utilisation de l’anglais comme langue prédominante de travail (voir graphique 1)[1]. Le lien existe pour les cégeps et les universités, bilingues ou de langue anglaise, dans divers domaines d’études et en fonction de la région.


[1] Je suis l’ordre des figures dans les études et non l’ordre croissant ici.

La figure 1 fait ressortir le fait qu’avoir étudié en anglais plutôt qu’en français au postsecondaire augmente la probabilité de travailler en anglais d’un facteur 5,75 pour les francophones (langue maternelle), de 2,5 pour les anglophones, de 6,6 pour les allophones et d’un facteur 12 globalement.

Le tableau 3 de cette étude est particulièrement intéressant. L’auteur a effectué des régressions logistiques et des rapports de cotes (ou de probabilité) entre certaines caractéristiques des cohortes étudiées et l’utilisation de l’anglais au travail. Ce qui est le plus fortement associé à la probabilité de travailler en anglais est la langue d’enseignement de l’établissement postsecondaire fréquenté (ligne 2 du tableau 3) où des rapports de cotes de 4,14, 4,81 et 7,00, toutes statistiquement significatives, ressortent assez spectaculairement du tableau. Le lien tient également hors Québec et les rapports de cotes sont assez similaires (tableaux 5 et 6, non montrés).

Le lien entre la langue d’étude au postsecondaire et la probabilité de travailler en anglais est indubitable et il est fort. Pour fins de comparaison, les rapports de cotes obtenus ici sont similaires à ceux qui ont été mis en évidence entre la probabilité d’avoir une maladie cardiaque et le fait de souffrir de diabète de type 2, lien que personne ne songe à remettre en question.

Les conclusions de cette étude de Statistique Canada sont les suivantes. Pour le Québec d’abord: « La présente étude montre qu’en plus du lieu de travail, du lieu où ont été faites les études et du type d’établissement fréquenté, la langue d’enseignement de l’établissement postsecondaire où a été obtenu le dernier diplôme est effectivement associée à l’utilisation prédominante de l’anglais au travail, comme le laissent entendre les études précédentes sur le sujet ».

Et hors Québec : « À l’extérieur du Québec, les communautés francophones en situation minoritaire souhaitent réaffirmer le rôle des établissements de langue française ou bilingue à la fin du continuum en éducation de langue française, alors que l’avenir de certains de ces établissements est remis en question en raison de difficultés financières. Les résultats montrent qu’il existe un lien entre la langue d’enseignement et l’utilisation du français au travail. Plus précisément, la proportion de diplômés de langue maternelle française qui travaillaient principalement en français était plus de trois fois plus élevée lorsque leur dernier diplôme provenait d’un établissement de langue française (48 %) que lorsqu’il provenait d’un établissement de langue anglaise (14 %) ».

L’auteur prend cependant soin de préciser : « L’adoption du français ou de l’anglais comme langue prédominante à la maison après avoir fréquenté un établissement postsecondaire revêt un intérêt particulier24, entre autres en qui a trait à ses conséquences sur la transmission intergénérationnelle des langues. Or, travailler dans une langue ne signifie pas nécessairement que cette langue sera parlée à la maison ». J’accorde à Mme Chouinard le fait que cette étude est faite en fonction de la langue maternelle et non en fonction de la langue parlée le plus souvent à la maison. Continuons donc à creuser.

L’Office québécois de la langue française (OQLF)

L’OQLF a rempilé sur Statistique Canada et a effectué dernièrement plusieurs études établissant des liens entre la langue d’enseignement au postsecondaire, la langue de travail et la langue utilisée dans l’espace public.

Dans « Langue des pratiques culturelles et de la scolarisation » on découvre que la langue d’enseignement (l’anglais!) est le facteur le plus important (à 42,4% suivi du « prestige » à 27,8%) pour les personnes de 18 à 34 ans qui ont choisi de faire leurs études postsecondaires en anglais au Québec (p.13). Les études postsecondaires faites en anglais au Québec jouissent d’un plus grand prestige que celles faites en français. Voilà qui met la table.

Une autre étude de l’OQLF « Langue du travail » a démontré le lien entre la langue de travail et la langue des études postsecondaires en fonction de la langue parlée le plus souvent à la maison (tableau L).

On constate au tableau L que le fait d’avoir fait ses études en anglais est associé à une augmentation d’un facteur 4,1, 1,7 et 4,0 de la probabilité de travailler en anglais pour les francophones, anglophones et allophones. Même les bilingues, ceux qui parlent à la fois français et anglais à la maison, ont une très nette tendance (facteur 2,7) à basculer à l’anglais au travail s’ils ont fait leurs études postsecondaires en anglais.

Un autre tableau (Q, page 43, non montré) croise la langue de travail avec la langue utilisée dans l’espace public et démontre qu’il existe une étroite corrélation entre les deux :  le fait de travailler en anglais multiplie par un facteur 15 la probabilité d’utiliser l’anglais dans les commerces de proximité pour les francophones par exemple. Mine de rien, avec ce facteur 15, on se rapproche du rapport de cote entre le tabagisme et le cancer du poumon.

Il est donc faux d’affirmer comme semble le faire Mme Chouinard qu’il n’y a pas de lien entre la langue des études postsecondaires et la langue de travail ou entre la langue de travail et la langue utilisée dans l’espace public; toutes ces variables sont étroitement corrélées. Par ailleurs, dans l’étude « Langue des pratiques culturelles et de la scolarisation » l’OQLF a posé la question suivante : « quelle langue préférez-vous utiliser au travail et dans l’espace public? » et nous a donné les réponses en fonction de la langue d’enseignement au postsecondaire. Les résultats sont rapportés au tableau G ci-dessous.

Les francophones de 18 à 34 ans préfèrent utiliser le français dans les commerces de proximité à 78,8% s’ils ont fait leurs études postsecondaires en français au Québec mais ce chiffre tombe à seulement 16,0% s’ils ont fait leurs études en anglais (une chute de 62,8 points!) tandis que leur préférence pour l’anglais passe de 1,2% à 28,7% (un facteur de 24!).

La question de la préférence de la personne est extrêmement intéressante. Les réponses pointent vers un basculement de l’univers culturel de référence si la personne a fait ses études postsecondaires en anglais. L’impact macroscopique est immense et indéniable.

Quelle langue parleront à la maison ceux qui préfèrent travailler ou acheter leur pinte de lait en anglais? Évidemment, le passage à l’anglais comme langue parlée à la maison ne sera pas automatique et dépendra de plusieurs facteurs, mais il y a fort à parier que la tendance sera la même que celle qui s’articule entre la langue de l’espace publique et la langue de travail. La raison en est que les gens n’ont pas une langue privée et une langue publique complètement disjointe; la plupart du temps il y a une concordance entre la langue privée et la langue publique, du moins pour les francophones et les anglophones au Québec.

L’OQLF a démontré cette corrélation entre la langue parlée à la maison et la langue de travail et celle de l’espace public. Par exemple, dans l’étude « Langue publique au Québec en 2016 » (figure 4) et la conclusion était la suivante : « Dans l’ensemble du Québec, en 2016, les francophones et les anglophones ont tendance à utiliser le plus souvent leur langue respective à l’extérieur de la maison. En effet, 90,2 % des francophones utilisent le plus souvent le français à l’extérieur de la maison et 57,4 % des anglophones y utilisent le plus souvent l’anglais ».

Une étude effectuée par Jean-Pierre Corbeil et René Houle (de Statistique Canada mais pour le compte de l’OQLF), « Trajectoires linguistiques et langue d’usage public chez les allophones de la région métropolitaine de Montréal » avait aussi conclu au lien fort (inverse) entre l’utilisation du français dans l’espace public et les études postsecondaires en anglais (p.137, Annexe 9).

IRFA

Une étude commandée à la défunte IRFA par la CSQ avait pour la première fois, en 2010, soulevé le voile entre les études postsecondaires en anglais (au cégep dans ce cas) et un ensemble de variables.

Cette étude prouvait qu’il existait un lien étroit entre la langue des études et la langue d’usage privé. Les données indiquent que les francophones, anglophones et allophones inscrits au cégep anglais utilisent moins le français comme langue parlée le plus souvent à la maison (figure 5 : chute de 26, 46 et 30,7 points).

La corrélation entre la langue parlée le plus souvent à la maison et la langue des études collégiales est particulièrement forte pour les allophones (figure 5); ceux inscrits au cégep anglais ne parlent presque pas français à la maison (4,4% seulement).

Finalement, la figure 6 démontre que la langue des études postsecondaires affecte profondément la langue de socialisation, donc la langue parlée avec les amis.

Le rapport concluait : « Les francophones du cégep anglais sont nettement moins nombreux à parler le plus souvent français avec leurs amis (51,7 %) qu’à la maison (72,9 %). Chez les anglophones et les allophones du cégep anglais, la très grande majorité fréquentent des cercles d’amis de langue anglaise. Le contraire est vrai au cégep français, où une majorité d’étudiants parlent le français avec leurs amis, peu importe leur langue maternelle. Selon notre enquête (données non présentées), les langues non-officielles sont peu utilisées avec les amis (moins de 10 % des cas, peu importe la langue d’enseignement du cégep), signe que le français ou l’anglais s’impose comme langue commune entre les jeunes de langues maternelles diverses ».

Conclusion

En conclusion, la démonstration à l’effet que les études postsecondaires en anglais sont étroitement corrélées à la langue de travail, la langue de l’espace public, la préférence de la langue de travail, les habitudes de consommation culturelles, la langue parlée à la maison, la langue de socialisation est très convaincante à mon avis.

Est-ce « une extrapolation » de dire que le surfinancement des universités anglaises au Québec est un des facteurs causant l’anglicisation du Québec (je n’ai jamais dit que cela était le seul facteur)? Non, en ce sens que c’est ce surfinancement même qui permet à un grand nombre de francophones et d’allophones de faire des études en anglais et, ensuite, de travailler en anglais et d’utiliser cette langue de façon disproportionnée dans l’espace public. C’est également ce surfinancement qui rend les études postsecondaires en anglais au Québec plus prestigieuses que celles faites en français (exemple ici).

Manque-t-on de données et d’études pour agir? Il serait bien d’avoir plus d’études, c’est certain. Par exemple, une étude de suivi longitudinal liant la langue des études postsecondaires à la langue parlée à la maison. Ou une étude liant le degré d’exposition à l’anglais à travers tout le parcours scolaire (anglais intensif en 6 ième année du primaire, profil d’immersion anglaise au secondaire, cégep et université en anglais) aux habitudes de consommation culturelle, à la langue parlée à la maison, à la langue de travail, à la langue de socialisation et celle de l’espace public.

Mais à mon avis, le portrait brossé avec les études disponibles est accablant. La langue des études postsecondaires à un grand impact sur la trajectoire de vie. Assurer la complétude institutionnelle du postsecondaire de langue française au Québec aurait vraisemblablement un grand impact sur la vitalité du français. Tout pointe donc vers la nécessité impérieuse d’imposer la loi 101 non seulement au cégep mais à l’ensemble du postsecondaire, ce qui constitue une façon d’assurer la complétude institutionnelle.

Plutôt que de « nuancer », Mme Chouinard tente donc de noyer le poisson. Et ce faisant, elle scie la branche sur laquelle les franco-ontariens sont assis.

La présentation « pleine de marde » au Comité permanent sur les langues officielles

Voici le support visuel de ma présentation du Comité permanent des langues officielles du lundi 6 mai 2024 à Ottawa. J’ai pris soin, à l’oral, de spécifier que si le surfinancement fédéral n’était qu’un des facteurs impliqué dans la mécanique du recul du français via les universités anglaises (Québec, le privé, la politique d’immigration étant également responsables, etc), c’était tout de même un facteur important étant donné les sommes en jeu (des centaines de millions de dollars par année).

#PleindeMardeGate

Lors de mon témoignage au Comité permanent des langues officielles à Ottawa le 6 mai 2024, j’ai eu le bonheur dubitatif de me faire traiter de « plein de marde » et « d’extrémiste » par un député libéral. Ce qui a déclenché l’ire du député est ma mise à nu de l’hypocrisie fédérale qui s’appuie sur le concept frauduleux de « double majorité » (une majorité anglophone hors Québec et une majorité francophone au Québec), tirée de la Loi sur les langues officielles, afin de favoriser de façon outrancière les universités anglaises au Québec, ce qui contribue directement au recul du français au Québec. Voici une série d’articles couvrant l’affaire:

https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2024-05-08/temoins-traites-de-pleins-de-marde/les-propos-de-francis-drouin-continuent-a-faire-reagir.php

https://www.journaldemontreal.com/2024/05/10/francis-drouin-a-raison-cest-pas-mal-extremiste#cxrecs_s

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/812717/idees-preuve-insulte

https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/812718/chronique-ignorance-linguistique-crasse

https://www.journaldemontreal.com/2024/05/08/les-pleins-de-m

https://www-nocache.tvanouvelles.ca/2024/05/07/comite-sur-les-langues-officielles-scusez-moi-la-mais-vous-etes-un-plein-dm-lance-un-liberal-en-comite

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/812720/idees-je-suis-bilingue-donc-tout-va-bien

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2070719/depute-drouin-comite-langues-officiells-temoins

Entrevue avec Mathieu Bock-Côté à QUB:

Beaucoup de bruit pour rien

Un bilan de la saga de l’augmentation des frais de scolarité pour les canadiens non-résidents 

L’annonce

Le 13 octobre 2023, la ministre de l’Enseignement supérieur Pascale Déry annonçait une refonte de certains volets de la politique de financement des universités.  Cette refonte visait deux objectifs principaux: 1) faire en sorte que les étudiants canadiens non-résidents venant étudier dans les universités du Québec le fassent à coût net nul pour l’État québécois et 2) rétablir une péréquation interuniversitaire de façon à ce que le pactole récolté des étudiants étrangers par les universités anglaises (quelques 282 millions de dollars par année, soit 69% du total généré par l’ensemble des universités au Québec) bénéficie à l’ensemble du réseau universitaire québécois.

Deux objectifs principaux mais également, semble-t-il, un objectif connexe; au cours de la conférence de presse tenue le 13 octobre, le ministre de la langue française Jean-François Roberge a affirmé que cette mesure visait aussi à « freiner le déclin du français ». Pour que la mesure ait cet effet, cependant, il faudrait que le nombre de canadiens non-résidents qui vient étudier à McGill, Concordia et Bishop’s (plus de 11 000 personnes/an) diminue substantiellement. Cependant, il est loin d’être certain qu’une hausse des frais de scolarité, même significative, aurait un impact suffisant pour « freiner le déclin du français » étant donné que les frais de scolarité ne constituent qu’une des variables dans la décision de s’inscrire dans une université ou non (le coût de la vie, la réputation, le programme, etc., sont également des paramètres importants). Afin que la baisse de la clientèle de canadiens non-résidents constitue un objectif clair de la mesure annoncée, il aurait fallu que le gouvernement impose, par exemple, un contingentement du nombre d’étudiants canadiens non-résidents financés chaque année. Le niveau de contingentement aurait pu être déterminé à l’aide d’une clause de réciprocité avec les provinces anglaises; le Québec pourrait financer, par exemple, un nombre égal d’étudiants canadiens non-résidents dans les universités anglaises à celui des étudiants québécois que les provinces hors Québec financent dans des programmes en français. Cela aurait eu l’avantage de révéler au grand jour l’ampleur titanesque de la disproportion qui est en jeu pour ce qui est de l’accès à l’enseignement universitaire dans la langue de la « minorité » au Canada.

Cet objectif « ad hoc » linguistique semble donc avoir été greffé, sans préparation sérieuse, a posteriori, sur une mesure visant essentiellement des objectifs comptables. Cela reflète probablement le fait que le « Groupe d’action sur l’avenir de la langue française » de la CAQ, qui était supposé annoncer un « plan d’action » cet automne, semble être incapable de justement passer à l’action. Le ministre de la Langue française a-t-il profité de l’annonce de la ministre de l’Enseignement supérieur pour tenter d’insuffler un semblant de vie à ce « Groupe d’action »?

Quoi qu’il en soit, cette refonte de la politique de financement universitaire est le résultat d’un engagement pris par la ministre Déry en juin 2023 par suite de nombreux articles parus dans les médias en 2022-2023, articles qui détaillaient l’iniquité du financement universitaire qui règne en fonction de la langue d’enseignement au Québec. Par exemple, le chercheur Martin Maltais a évalué que les canadiens non-résidents, ainsi que certains étudiants internationaux (comme les Français et les Belges qui bénéficient d’ententes avec le Québec) inscrits dans les universités anglaises nous coûtaient 200 millions de dollars par année collectivement. J’ai calculé, dans « Pourquoi la loi 101 est un échec » (p.163, Boréal, 2020) que la scolarisation des canadiens non-résidents à McGill, Concordia et Bishop’s nous coûtaient plus de 100 millions de dollar par année. Une somme qui sert, au final, à diplômer des non Québécois dans des programmes en anglais et à angliciser Montréal. L’atteinte de l’objectif numéro 1 de la mesure Déry signifie que le Québec cesserait de payer le coût pour son anglicisation via les étudiants universitaires non québécois. Cependant, le Québec continuera de s’angliciser tout de même par le biais des universités anglaises, à moins que la proportion d’étudiants inscrits dans celles-ci ne baisse.

Quant à péréquation interuniversitaire, elle a été abolie en 2018 sous Philippe Couillard en même temps que les frais de scolarité pour les étudiants internationaux étaient dérèglementés, ce qui a constitué un cadeau princier fait aux universités anglaises. Ces mesures ont été prises en même temps que M. Couillard faisait don du Royal Victoria à McGill, un don d’une valeur estimée à un milliard de dollars. Dans la mesure Déry, la péréquation interuniversitaire serait rétablie grâce à l’imposition d’un tarif plancher pour les étudiants internationaux, assorti de la récupération d’un montant forfaitaire. Ce montant forfaitaire serait reversé aux universités de langue française.

Afin d’atteindre le premier objectif, les frais de scolarité chargés aux canadiens non-résidents devaient passer de 9 000$/an à 17 000$/an en moyenne, soit une augmentation de 89%. Le deuxième objectif serait atteint en imposant un prix plancher de quelque 20 000$/an aux étudiants internationaux (et un montant forfaitaire qui est à déterminer).

Voilà la refonte initialement annoncée par la ministre Déry. Une mesure simple, logique, et qui se défend bien : le Québec est-il en effet assez riche pour financer la scolarité universitaire des jeunes anglophones non-résidents, en anglais qui plus est? Cela pourrait potentiellement se justifier s’il y avait hors Québec une contrepartie à cette « générosité », c’est-à-dire si les provinces anglaises finançaient les études en français de quelque 11 000 québécois par année dans leurs universités françaises. Mais ce n’est hélas pas le cas, les moignons de facultés et les bouts de programmes en français hors Québec étant systématiquement sous-financés et asphyxiés financièrement dans les provinces à majorité anglaise. Pour donner un seul exemple de ce qui pourrait être une longue liste : l’Université de l’Ontario français (la seule université en Ontario qui ne soit pas bilingue) n’accueillait que 233 étudiants en septembre 2023, ce qui équivaut à 0,3% des effectifs des universités anglaises du Québec. Ce n’est pas comme si, non plus, les francophones constituaient une élite surdiplômée qui pouvait sacrifier une partie de ses ressources à tenter de hisser les anglophones à son niveau; aujourd’hui encore, les francophones au Québec sont toujours 40% moins nombreux, proportionnellement, que les anglophones à détenir un diplôme universitaire (p.136 « Pourquoi la loi 101 est un échec »).

Le surfinancement des universités anglaises au Québec

Les universités anglaises du Québec accueillent quelque 25% de l’effectif universitaire et reçoivent environ 30% des fonds globaux des universités, et ce, même si la communauté anglophone du Québec ne représente que 8,8% de la population du Québec (langue maternelle). Il existe donc une « surcomplétude institutionnelle », c’est-à-dire que les institutions anglaises sont très nettement surdimensionnées relativement au poids démographique de la communauté anglaise (p.53 « Pourquoi la loi 101 est un échec »). Ce surdimensionnement est d’un facteur 2,8 pour ce qui est des effectifs et d’un facteur 3,4 pour ce qui est du financement.

La disproportion est encore pire si on considère seulement la partie des fonds provenant d’Ottawa; ainsi, les anglophones touchent 38,3 % de ces fonds tandis que les francophones en récoltent seulement 61,7 %. Les anglophones bénéficient donc de 4,7 fois leur poids démographique du financement reçu d’Ottawa tandis que les francophones sont financés en deçà de leur poids démographique.

Les universités anglaises du Québec sont si hypertrophiées qu’elles n’accueillent qu’une petite minorité  d’«ayants-droit » (23,6%) c’est-à-dire d’étudiants qui sont membres de la communauté d’expression anglaise en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette proportion est de 17,1% à McGill, de 29,7% à Concordia et de 22,3% à Bishop’s. La majorité de la clientèle des universités anglaises est ainsi constitué d’étudiants internationaux, d’étudiants québécois non ayants-droit (des allophones et francophones), ainsi que de canadiens non-résidents.

Le respect du principe de la complétude institutionnelle voudrait que la proportion du financement accordé aux anglophones soit égale à leur poids démographique (soit moins de 10 %). Cela est loin d’être le cas. On peut calculer que  la somme manquante totale aux universités de langue française afin d’assurer leur complétude institutionnelle (90% des revenus) était de 1 466 millions de dollars par année en 2017.

Cette surcomplétude institutionnelle anglophone a des conséquences majeures sur la dynamique linguistique de Montréal et du Québec tout entier. Il a été établi par Statistique Canada, par exemple, que la langue des études postsecondaires détermine dans une large mesure la future langue de travail des étudiants. Un constat qui a été renforcé par une étude récente de l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui a démontré que les études postsecondaires en anglais pesaient lourdement sur la langue d’usage publique. Les universités anglaises constituent des foyers d’anglicisation majeurs au Québec et un moteur de l’assimilation de francophones et allophones à la communauté anglaise (gain d’un point pour l’anglais en tant que langue parlée le plus souvent à la maison entre 2016 et 2021).

De plus, la disproportion entre l’effectif (25%) et le revenu global (30%) met en lumière une iniquité supplémentaire; il s’agit du financement par étudiant (étudiant équivalent temps plein ou EETP). Au Québec, un étudiant qui choisit d’étudier en anglais est mieux financé, dispose de plus de ressources, qu’un étudiant qui choisit un programme en français. Globalement, les universités anglaises disposaient de 16 095 $ par étudiant équivalent temps plein (EETP) en 2017 tandis que les universités de langue française n’avaient que 12 507 $ par EETP, une différence 3 588 $ ou 28,7 %.

À l’injustice « macroscopique », sociétale, d’une sous-complétude institutionnelle pour les universités de langue française s’ajoute une autre injustice qui frappe les étudiants au niveau individuel. Ceux qui choisissent de poursuivre leurs études universitaires en anglais jouissent d’un avantage structurel par rapport à ceux qui poursuivent leurs études en français.

Voilà le problème titanesque auquel la refonte annoncée de la politique de financement universitaire s’attaquait en partie. En très petite partie seulement car l’effet estimé du rétablissement de la péréquation serait de reverser environ 100 millions de dollars par année aux universités françaises, ce qui est très loin de la somme qui serait requise pour abolir la sous-complétude institutionnelle qui les frappe, qui serait plutôt quinze fois plus importante (1,5 milliard de dollars).

Pour un tour d’horizon plus complet de cette question, on pourra se référer à cet article de Pierre Fortin, ou à « Au Québec, les universités anglaises sont favorisées » (Action nationale, Septembre 2021).

La réaction du Canada anglais

Cette annonce de la ministre Déry a mis en branle une vigoureuse réaction, proche de l’hystérie, au Canada anglais; les médias comme The Gazette, The National Post, The Globe and Mail ont lancé une campagne intensive visant à faire renverser cette décision. The Gazette s’est particulièrement distinguée en publiant quasiment un texte par jour sur le sujet pendant tout l’automne à partir du 14 octobre dernier. Voici un florilège des textes publiés:  « catastrophic », « I love Quebec, but it doesn’t love me », « Legault wants to kill Quebec’s English universities », « shortsighted, mean-spirited and, from an economic vantage point, completely idiotic », « targeted attack », « existential risk »,  « Legault farting in Canada’s direction ».

Dans ces textes, tout y passe : vulgarité, exagération, subtilité nulle et absente, tentatives d’intimidation, manipulation émotive, vocabulaire militaire et agressif, etc. Le manque de respect, de considération élémentaire envers le Québec est total. L’idée que la mesure puisse être justifiée n’est jamais évoquée un seul instant. Y a-t-il eu un seul texte dans les médias canadiens anglais qui admette que les universités anglaises au Québec sont bel et bien surfinancées et que les universités françaises sont sous-financées?

Malheureusement, la contre-réaction n’est pas venue uniquement du Canada anglais. Tout un pan de l’élite québécoise s’est aussi mobilisé pour faire annuler la mesure. Les députés du Parti libéral du Québec/Quebec Liberal Party sont entrés en campagne et, en particulier, il faut souligner l’activisme de la députée Marwah Rizqy, qui s’est investie sans compter pour faire reculer le gouvernement. Mentionnons également le recteur de l’Université de Montréal, Daniel Jutras, qui s’est empressé, de façon étonnante, de défendre McGill. Ce faisant, M. Jutras a agi contre les intérêts de l’institution qu’il prétend représenter, institution qui bénéficierait du rétablissement de la péréquation interuniversitaire. Les recteurs des universités françaises dotés d’une faculté de médecine (Sherbrooke, l’Université de Montréal, Laval) se sont également prononcés contre la mesure. Seuls les recteurs des composantes de l’Université du Québec se sont exprimés en sa faveur. Cela a pu nous faire constater qu’une bonne partie du système universitaire de langue française au Québec est « satellisé » et évolue dans l’orbite idéologique de McGill University.

Il est parlant que seule l’université la plus mise à mal par l’actuelle politique de financement, et une université « minore », non dotée d’une faculté de médecine (l’UQAM), ait osé rompre les rangs du consensus en faveur du statu quo.

Même les syndicats, faisant fi des iniquités en fonction de la langue qui résultent des politiques de financement, sont montés au créneau pour défendre McGill sous couvert hypocrite de dénoncer la « marchandisation » de l’éducation.

La capitulation

La vigueur de la réaction du Canada anglais, l’activisme d’une partie importante de notre élite politique, syndicale et universitaire en faveur de la défense des privilèges des anglophones, le manque de préparation et de cohérence du gouvernement du Québec pour ce qui est des objectifs visés par la refonte ont eu rapidement raison de la mesure initialement annoncée.

Les universités anglaises ont habilement manœuvré en se servant de l’objectif « ad hoc » greffé par le ministre de la Langue française (que la mesure freine le déclin du français) pour faire échec à l’objectif numéro un, soit l’atteinte d’un coût net nul pour les étudiants canadiens non-résidents. Leur manœuvre a consisté à proposer de « franciser » une partie (40%) de leurs étudiants non québécois en échange de l’abandon par le gouvernement de la hausse des frais de scolarité. Ce qui est entendu par « francisation » est l’atteinte, à l’oral seulement, d’un niveau intermédiaire (soit niveau 6) de français.

Deux mois après l’annonce initiale, la ministre Déry a donc reculé en bonne partie et a annoncé (sur X) que les frais de scolarité chargés aux canadiens non-résidents seraient de 12 000$/an en moyenne (et non 17 000$/an), soit une augmentation du tiers seulement (et seulement pour les étudiants de premier cycle). De plus, Bishop’s est entièrement exclue de cette augmentation.

L’objectif numéro un de la refonte a donc été abandonné; le Québec continuera de financer – sans restriction quant au nombre – les études des canadiens non-résidents dans les universités anglaises. Il s’agit, malgré le baroud d’honneur d’une augmentation du tiers, d’une défaite complète pour le gouvernement.

La ministre a annoncé qu’en échange du maintien du financement des canadiens non-résidents les universités anglaises les « franciseraient »; c’est-à-dire que 80 % des nouveaux inscrits non québécois dans un programme d’études anglophone devraient atteindre un niveau intermédiaire en français (niveau 5) au terme de leurs études de premier cycle. La ministre a donc monté les exigences quant à la proportion d’étudiants « francisés », mais baissé quant au niveau, les exigences passant du niveau 6 au niveau 5. Pour citer la ministre Déry : « « On francise, et c’est une très bonne chose. […] Mais ce qu’on souhaite aussi, c’est encourager et pousser les universités à aller [recruter des étudiants] dans des bassins plus francophones », a expliqué Mme Déry. Elle espère ainsi « changer le visage de Montréal » ».

Cette mesure de « francisation » d’étudiants choisissant d’étudier dans des programmes en anglais (et payant souvent très cher pour la chose), va-t-elle vraiment « changer le visage de Montréal »?

L’illusion de la « francisation » dans les institutions anglaises

Ce qui frappe ici, c’est la naïveté (ou le double discours?) d’un gouvernement du Québec qui prétend réellement croire que les institutions anglaises vont « franciser » leur clientèle. On peut voir là une manifestation de la volonté, très québécoise, de s’illusionner pour éviter de regarder les choses en face et de poser les gestes qui s’imposent. Car il est évident, d’emblée, que cette « francisation » sera tout à fait superficielle et ne changera aucunement le « visage de Montréal ».

Car, comme presque toujours lorsqu’il est question de langue, on confond ici la connaissance d’une langue avec son usage. Même si l’ajout de quelques cours de français est en soi une mesure intéressante qui aurait dû être prise il y a longtemps, il est frivole de penser que cela va mener à une quelconque « francisation » (un terme valise imprécis dans ce contexte) dans un milieu aussi anglicisant que McGill ou Concordia. Ces cours vont mener à une certaine connaissance du français, ce qui est mieux que rien, certes, mais la simple connaissance d’une langue ne mène pas à son usage. L’OQLF, dans l’étude mentionnée plus haut, vient de prouver que le fait d’avoir fait son diplôme postsecondaire en anglais multiplie par quatre les probabilités qu’un francophone ou allophone travaille ensuite en anglais au Québec et, qui plus est, que le fait d’avoir fait son diplôme postsecondaire en anglais réduit de façon majeure la préférence pour le français en tant que langue de travail (de 39,6 points pour les francophones, de 67 points pour les anglophones, et de 52 points pour les allophones) et augmente presque d’autant la préférence pour travailler en anglais. Les diplômés des institutions anglaises préfèrent souvent travailler en anglais même s’ils connaissent le français.

Le fait d’avoir fait son diplôme postuniversitaire en anglais affecte également substantiellement la langue d’usage publique, les jeunes francophones diplômés en anglais au cégep ou à l’université utilisant davantage l’anglais dans les commerces de proximité (18 fois plus) que ceux diplômés en français, et ce, même s’ils ont manifestement une excellente connaissance du français, bien supérieure au niveau intermédiaire! Et pour les allophones, les études en anglais au postsecondaire font basculer complètement la préférence de langue d’usage publique vers l’anglais.

La langue du diplôme postsecondaire change profondément l’univers culturel de référence de l’étudiant et fait de l’anglais la langue première d’une bonne partie de ceux qui effectuent leurs études postsecondaires en anglais. La « francisation » dans les universités anglaises sera, assumant très hypothétiquement qu’elle soit un succès, simplement d’établir le français comme une langue seconde (ou tierce) alors que la langue et la culture première ou de référence pour les étudiants restera souvent – comme le démontre l’OQLF – l’anglais. Pour imposer l’usage du français, il faudrait que les programmes d’études dans lesquels s’inscrivent les étudiants que l’on souhaite « franciser » dans les universités anglaises soient … en français.

Du reste, l’atteinte du niveau intermédiaire sera-t-il mesuré de façon objective via des examens normés contrôlés par le ministère de l’Enseignement supérieur? Il ne faudrait pas oublier que la Commission scolaire English Montreal s’est fait prendre à remettre des certificats de francisation bidons pour que des allophones ignorant totalement le français aient accès à la citoyenneté canadienne via le Programme de l’expérience québécoise. Présumer de la « bonne foi » des institutions anglaises semble risqué.

Les universités anglaises roulent le gouvernement dans la farine

Seulement 4 jours après l’annonce de la ministre Déry le 13 octobre, McGill a annoncé l’annulation d’un investissement de 50 millions de dollars en faveur de mesures de francisation. Mais pour ensuite « faire une offre historique » au gouvernement du Québec trois semaines plus tard en affirmant qu’elle allait investir pour « franciser » une partie (40%) des étudiants non québécois. Et six jours après l’annonce du recul de la ministre Déry le 14 décembre, McGill et Concordia ont annoncé la mise sur pied de programmes de bourses (3000$/étudiant pour McGill et 4000$/étudiant pour Concordia) pour financer la hausse du tiers exigée par Québec et garder les frais de scolarité au niveau antérieur.

On peut calculer que la « bourse Canada » de 3 000$ de McGill, annoncée en un claquement de doigt, coûtera à elle seule la moitié de la somme que celle-ci disait n’avoir pas les moyens d’investir en francisation au milieu du mois d’octobre. L’augmentation initialement prévue des frais de scolarité allait-elle vraiment causer la perte de 700 postes et la ruine de McGill? On peut en douter.

Conclusion

Cette saga a servi de double révélateur. Premièrement du mépris du Québec qui règne au Canada anglais. Deuxièmement du fait qu’une partie non négligeable des élites québécoises était, sous divers prétextes, directement ou indirectement, d’abord au service des intérêts du Canada anglais.

Cette séquence est profondément révélatrice de notre véritable situation nationale dans le Canada : celle d’une minorité annexée et méprisée dont les ressources sont en partie détournées au profit d’un autre peuple. Une situation que les Québécois s’efforcent de ne pas voir.

S’il n’est pas surprenant que le PLQ/QLP ait servi de cinquième colonne pour défendre les intérêts du Canada au Québec, il est plutôt étonnant de constater que les recteurs des grandes universités de langue française aient travaillé contre les intérêts de leurs propres institutions et contre les intérêts du Québec français. On peut voir là un marqueur de l’emprise idéologique et financière croissante d’Ottawa sur le système universitaire québécois.

Quant au rôle de certains syndicats, il faut souligner que ceux-ci sont les mêmes qui se taisent ou tentent de noyer le poisson sur la mobilisation de milliers de leurs membres en faveur de l’imposition de la loi 101 au cégep. Voilà une autre révélation : ces syndicats, qui défendent d’abord leurs membres, défendent de ce fait indirectement les privilèges des institutions anglaises et le statu quo beaucoup plus qu’ils ne luttent pour la « justice sociale ».

Car il s’agit bien, en dernier recours, d’une question de justice. Celle-ci voudrait que les ressources de l’État du Québec en éducation aillent prioritairement à fermer l’écart de diplomation qui persiste toujours, soixante ans après la Révolution tranquille, entre les francophones et anglophones.

Dans un rapport marquant qui a été ignoré (p.49), Lise Bissonnette et John R. Porter dénonçaient la sous-diplomation des francophones et la canalisation de ceux-ci dans des diplômes « légers » (des certificats), moins lucratifs que les diplômes de grades: « Quand on oublie les données agrégées de l’ensemble de nos universités, quand la comparaison est menée à l’intérieur du Québec même, entre universités francophones et anglophones, on constate que les écarts selon la langue sont déterminants. Le taux d’atteinte des diplômes de grade se situe et souvent dépasse la moyenne canadienne et ontarienne pour nos universités de langue anglaise (soit environ 90 %) et certaines de nos plus importantes universités de langue française se situent sous la barre du 60 %. Le temps est certes venu de faire le point sur cet aspect de notre société distincte et surtout d’éviter le raccourci qui tend à en faire une qualité, à mettre au compte de la vertu d’accessibilité. Si l’on souhaitait mettre en lumière la différence entre la notion d’accessibilité et celle de l’égalité des chances, les données de diplomation seraient probantes entre toutes. L’université se rend certes accessible en accueillant des inscrits dont le nombre est plus élevé que jamais et dont la provenance sociale est plus diversifiée que jamais. Mais ces nouveaux venus sont-ils trop souvent dirigés vers des études dont la valeur est moindre pour l’avenir? Obtiendront-ils à l’université des chances égales à celles qu’offrait et qu’offre toujours la diplomation traditionnelle? Leur « autre diplôme » aura-t-il quelque valeur utilisable sur le marché des « vrais » diplômes que sont les diplômes de grade? »

S’il faut souligner le courage de la ministre de l’Enseignement supérieur à s’attaquer enfin, quoique faiblement, à la question des iniquités de financement en fonction de la langue, il faut du même souffle déplorer le manque de préparation et de cohérence du gouvernement et le rôle néfaste et brouillon joué par le ministre de la Langue française dans ce dossier.

L’impression générale qui se dégage est que le Premier ministre du Québec n’avait pas conscience, en ouvrant cette boite de Pandore, de s’attaquer à l’un des piliers du régime canadien, soit le fait que l’hypertrophie des universités anglaises au Québec résulte du fait que celles-ci sont au service aussi (d’abord?) du Canada et constituent, de facto, une partie non négligeable du réseau universitaire des provinces anglaises (mais situé au Québec et financé par celui-ci). M. Legault a traité cette question comme si l’utilisation des ressources de l’État du Québec pour financer les études universitaires des jeunes anglophones de partout au Canada était une aberration inexplicable alors qu’elle constitue en fait l’un des fondements même du pays et du régime auquel il dit par ailleurs adhérer.  

L’impact financier de la refonte annoncée, dans sa version revue, reste à voir. Mais on sait d’emblée que celui-ci ne sera pas suffisant pour soulager, de façon autre que marginale, le sous-financement profond dont souffrent les universités françaises au Québec. L’iniquité de financement universitaire en fonction de la langue reste quasiment entière. Les ressources du seul État français en Amérique seront toujours utilisées pour assurer le maintien d’un avantage compétitif pour ce qui de la diplomation universitaire des anglophones de partout au Canada.

Comme l’écrivent Bissonnette et Porter (p.53) : « Nous évoquons l’Université, point focal d’une société qui ne pourrait avoir de hautes aspirations sans elle. Il est impossible d’éprouver un désir d’avenir sans éprouver un désir d’université ».

L’éducation étant au cœur de l’avenir d’un peuple, si les Québécois veulent avoir un avenir, il faudra reprendre ce dossier.

Sous-financement des universités françaises: Le mal est profond

Frédéric Lacroix (essayiste) et Marc Chevrier (professeur à l’UQAM)

Le 13 octobre dernier, le gouvernement Legault a annoncé de nouvelles règles pour le financement des universités, en vue, affirme le premier ministre, de rétablir une équité linguistique entre elles. Or, un mois auparavant, le recteur de l’Université de Montréal, M. Daniel Jutras, avait publié dans le Devoir un texte surprenant. Il y affirmait que la formule de financement des universités n’était « pas inéquitable » et ne créait pas une « discrimination arbitraire entre les universités. » Il vaut la peine, croyons-nous, de revenir sur ces affirmations de M. Jutras afin d’éclairer le débat actuel sur le financement des universités.


L’iniquité de financement par étudiant
Dans son texte, M. Jutras écrit, usant d’une périphrase floue, qu’« [o]n entend même quelques voix qui dénoncent le sous-financement chronique et historique de certaines composantes du réseau universitaire québécois ». Le sous-financement dont il est question ici, bien sûr, est le sous-financement des universités de langue française au Québec. Ce sous-financement est-il une pure fiction ?


Aucunement. Si l’iniquité linguistique du financement universitaire a fait du bruit dernièrement, c’est d’abord parce que l’écart de revenu en fonction de la langue s’accroît et que, au vu du recul accéléré du français au Québec, cet écart, qui contribue directement à l’anglicisation par les études supérieures (voir OQLF, « Langue et éducation : enseignement universitaire », 2023), se réconcilie mal avec la volonté d’une nation de faire du français sa langue commune.


Le recteur Jutras parvient à nier ce sous-financement par une méthode simple : confondant la partie avec le tout, il sélectionne une des variables seulement du portefeuille de financement global des universités (les fonds de fonctionnement provenant de Québec), et ignore les autres sources de revenus des universités (fonds d’immobilisation du Québec, fonds fédéraux, droits de scolarité, dons du privé et des fondations, etc.). Ce qui lui permet de claironner qu’il n’y aurait « pas d’iniquité ».


Par exemple, si l’on regarde la subvention de fonctionnement provenant de Québec, les universités anglaises disposaient (en 2017-2018) de 5 040 $/EETP (étudiant équivalent temps plein), alors que leurs homologues françaises obtenaient 5 002 $/EETP, soit des sommes quasiment égales. Si l’on considère exclusivement cette source de revenus, il n’y aurait donc pas de discrimination en fonction de la langue. Cependant, considérons d’autres éléments. Pour les fonds provenant d’Ottawa, par exemple, ces montants sont de 2 663 $/EETP pour les anglophones et de 1 430 $/EETP pour les francophones (soit une différence de 86,2 %). Quant aux droits de scolarité, la même année, les établissements anglais touchaient 438,9 millions de dollars, soit 45,2 % du total des universités québécoises. Il en va de même pour les dons privés, les ventes de produits et services, les revenus de fondation, et même pour les fonds d’immobilisation versés par le Québec (les universités anglaises touchaient par exemple des montants 56 % plus élevés que ceux qui sont investis dans les universités de langue française en 2019-2020).


Si l’on tient compte de toutes les sources de financement, il appert que les universités anglaises disposaient de 16 095 $/EETP et que les francophones, de seulement 12 507 $/EETP, soit une différence de 3 588 $ par étudiant ou de 29 % (voir Lacroix dans L’Action nationale, avril et septembre 2021, « Québec préfère les universités anglaises » et « Au Québec, les universités anglaises sont favorisées »). Précisons que l’économiste Pierre Fortin est arrivé à des résultats comparables et a démontré que même l’Université de Montréal était sous-financée (par étudiant, en moyenne pour l’année 2018-2019) de 46 % relativement à McGill et de 20 % relativement à Concordia (« Riches universités anglophones », L’Actualité 5 avril 2023); de même, le groupe de Pier-André Bouchard St-Amant à l’ÉNAP a calculé que l’Université de Montréal était sous-financée, en dollars constants de 2000, de 74 % comparativement à McGill (voir figure 1a, « L’UQAM a-t-elle sa juste part ? », La Presse, 18 avril 2023).


Le texte de M. Jutras daté du 13 septembre 2023 est d’autant plus remarquable qu’il nie catégoriquement, au nom de la plus grande université de langue française au Québec, le sous-financement qui frappe pourtant son institution de plein fouet.


Mais pourquoi faut-il considérer toutes les sources de financement afin de brosser un portrait global de l’équité de financement ? Il y a deux raisons à cela. Premièrement, le flux monétaire global détermine l’ensemble des ressources qui sont mises à la disposition des étudiants afin de faciliter les conditions d’études et d’assurer leur succès. Deuxièmement, les fonds « autres » (autres que le fonds de fonctionnement de Québec), servent de levier comptable pour monter des projets d’expansion immobilière, ce qui, à son tour, entraîne une hausse de la clientèle et donc des sommes récoltées par le fonds de financement ou les droits de scolarité.


L’affaire du don d’une bonne partie de l’ancien hôpital Royal Victoria à McGill afin d’accélérer l’expansion de cette université sur les plus beaux terrains du centre-ville de Montréal est éclairante ; Québec a choisi McGill, car elle seule, apparemment, avait les reins financiers assez solides pour exploiter le site (cet argument fut invoqué avant que nous apprenions que Québec allait donner 620 millions de dollars en plus des bâtiments et des terrains pour rénover le site…). Pourquoi est-ce ainsi ? Parce que McGill engrange des sommes faramineuses d’Ottawa et des étudiants internationaux, grâce auxquelles elle planifie des montages financiers pour ensuite récolter des sommes supplémentaires en fonds d’immobilisation, de fonctionnement et en frais de scolarité. Les « autres sources » de financement agissent donc comme un lubrifiant pour la roue vertueuse des hausses de clientèles et du financement en fonction de l’effectif, roue qui tourne de plus en plus vite pour les universités enseignant en anglais (voilà aussi la raison pour laquelle les HEC, composante de l’Université de Montréal, sont en train de s’angliciser rapidement).


Devant une telle perspective d’ensemble, il est indéniable que les étudiants qui choisissent d’étudier en anglais au Québec sont beaucoup mieux financés que ceux qui optent pour les études en français.


La complétude institutionnelle
Si le sous-financement net en fonction de la langue, par étudiant, est de l’ordre de 29 % au Québec, l’histoire ne s’arrête pas là.


Pour réellement peser sur la dynamique linguistique et faire en sorte que les universités anglaises cessent d’agir comme des foyers d’anglicisation, il faut que le français ait un poids, au niveau universitaire, proportionné au poids démographique relatif des francophones au Québec. C’est-à-dire qu’il est nécessaire, en plus de rétablir l’égalité de financement par étudiant, de viser la « complétude institutionnelle » (voir p. 53, « Pourquoi la loi 101 est un échec », Boréal, 2020). L’atteinte de cette complétude impliquerait que la proportion du financement global accordé aux anglophones soit égale à leur poids démographique (soit environ 10 %). Comme cette part de financement tourne actuellement plutôt autour de 30 %, nous sommes très loin du compte. Les universités anglaises touchaient en 2017-2018 38,3 % des fonds provenant d’Ottawa, soit 4,7 fois leur poids démographique au Québec. S’agissant des droits de scolarité, la même année, les établissements anglais touchaient 438,9 millions de dollars, ce qui représente 5,6 fois leur poids démographique.


On peut évaluer que la somme manquante totale due aux universités de langue française pour atteindre la complétude institutionnelle était, pour l’année de référence 2017-2018, de 1 466 millions de dollars. Ce qui équivalait alors à 20,1 % de tous les revenus des universités au Québec.


À l’injustice « microscopique » qui frappe les étudiants au niveau individuel s’ajoute donc l’injustice « macroscopique » d’une sous-complétude institutionnelle pour les universités de langue française. Pour arriver à l’équité réelle, il faut agir sur ces deux niveaux. De ce point de vue, la Révolution tranquille, qui devait mettre le Québec français au niveau de la communauté anglaise en éducation, est un échec sur ces deux plans.


Les mesures annoncées le 13 octobre par Québec ne constituent qu’un premier pas, timide, dans le rétablissement d’une équité véritable. Mais s’arrêter en chemin ne ferait que cautionner le déclassement qui guette les universités françaises au Québec.

De quoi la hausse des frais de scolarité pour les canadiens non-résidents est-elle le nom?

La révision de la grille tarifaire universitaire annoncée par la ministre de l’Enseignement supérieur Pascale Déry le 13 octobre, doublant les frais pour les canadiens non-résidents qui viennent étudier en anglais au Québec, a fourni un prétexte au Canada anglais pour une virulente campagne -une autre- de francophobie visant le Québec.

On ne compte plus le nombre de textes nous accusant de « fermeture sur le monde », de « racisme », « d’intolérance », de « vandalisme », de « déclarer la guerre aux anglophones », de vouloir « tuer » McGill, d’encourager la « médiocrité », sans oublier, bien sûr, tous les « avertissements » à l’effet qu’une telle politique va entrainer un cataclysme économique, un effondrement intellectuel et, finalement, la ruine totale du Québec. The Gazette a même caricaturé la ministre (qui est de confession juive) en « louve des SS » ce qui constitue, à n’en pas douter, une attaque haineuse.

N’importe quel observateur avec un peu de recul ne peut qu’être étonné d’une réaction aussi acerbe, malveillante, calomnieuse, virulente, hystérique, envers ce qui constitue une mesure banale qui aurait dû être prise il y a longtemps. L’intention de la mesure est fort simple : que les contribuables québécois arrêtent de financer les études en anglais des canadiens hors Québec qui viennent profiter chez nous des frais de scolarité les plus bas au Canada. Les Québécois n’ont pas à payer les études universitaires des étudiants qui ne sont pas québécois. Actuellement, ces étudiants (provenant surtout de l’Ontario) nous coûtent la bagatelle de 200 millions par année! Le système universitaire anglophone du Québec, dans les faits, agit comme partie intégrante du système universitaire du Canada anglais. Financée par les francophones. Comme « diner de cons », on a rarement vu mieux (pour l’Ontario).

La politique de bas frais de scolarité visait, à l’origine, à favoriser la diplomation universitaire des francophones au Québec qui était, rappelons-le, la plus faible au pays au début de la Révolution tranquille. Si cette politique a effectivement permis une hausse importante de la diplomation, son application aux universités anglaises comme françaises a entrainé une hausse de la diplomation également chez les anglophones de sorte que l’écart de diplomation entre anglophones et francophones n’a jamais été fermé. Aujourd’hui, les francophones au Québec sont toujours 40% moins nombreux que les anglophones à détenir un diplôme universitaire.

Cette politique a aussi longtemps été appliquée aux anglophones peu importe leur provenance ce qui a conduit à un important effet pervers, les anglophones d’autres provinces venant au Québec profiter d’une éducation universitaire à prix cassés (et financée en grande partie par le Québec). Si les frais de scolarité ont été finalement rajustés à la hausse pour atteindre la « moyenne canadienne » en 1998, cette hausse n’a nullement stoppé le flux de canadiens non-résidents se dirigeant vers McGill, Concordia et Bishop’s, qui viennent aussi profiter, en plus de la manne de Québec, du relativement bas coût de la vie chez nous.

Il était plus que temps qu’une politique soit mise en place pour que les canadiens non-résidents viennent étudier chez nous à coût nul pour les contribuables québécois. Les 200 millions par année économisé pourra donc être investi pour tenter de fermer l’écart (enfin!) de diplomation des francophones.

Ceux qui s’opposent à cette mesure (et ils sont nombreux malheureusement dans les médias québécois), partiellement ou entièrement, avec des arguments sophistiqués ou non, nous enjoignent donc, tout simplement, à continuer à être les cons du grand diner universitaire canadien. Leur position est à mon avis indéfendable. Surtout alors que les provinces hors Québec (sauf le Nouveau-Brunswick) privent presque intégralement les minorités francophones d’une éducation supérieure en français.

Cette réaction du Canada anglais est à mon avis très révélatrice de la véritable nature de la relation Canada-Québec; une relation de domination, de contrôle et de mépris. La moindre mesure visant, comme ici, à nous sortir d’une posture de dominé, est combattue avec la dernière des énergies par le Canada anglais (et par une cinquième colonne chez nous), qui panique à l’idée de perdre le contrôle du Québec. Il ne faudrait surtout pas que nous prenions goût à la liberté.

De plus, il faut prendre conscience que le Canada anglais considère McGill, Condordia et Bishop’s comme SES universités, comme partie intégrante du système d’éducation canadien de langue anglaise. Le mythe de la « minorité anglophone », mythe qui a seulement été créé afin de nous berner avec une Loi sur les langues officielles instituant une « minorité anglophone » au Québec mise sur un pied d’égalité aux « minorités francophones » dans les autres provinces, vole en éclats.

Les anglophones du Québec se considèrent comme « minorité » seulement lorsque vient de temps d’adopter une posture victimaire. Sinon, comme les évènements actuels le démontrent fort bien, ils sont partie intégrante de la majorité anglophone qui contrôle le Canada.

Le sous financement des francophones en sciences : le résultat d’une discrimination?

Il y a plus de 100 ans, des pionniers, dont au premier chef Conrad Kirouac, mieux connu sous le nom du « Frère Marie-Victorin » avaient réalisé que pour survivre dans le monde moderne, le Québec français devait mieux et plus valoriser la science. Dans un texte magnifique publié dans le Devoir le 25 septembre 1925, au titre programmatique de « La province de Québec, pays à découvrir et à conquérir », Kirouac dressait un véritable programme de reconquête économique. Ce programme passait d’abord et avant tout par l’avancement des connaissances, de la science, substrat de la révolution industrielle qui faisait rage partout et qui, au Québec, était aux mains des anglais ou des américains : « Étrangers dans cet univers, oui, et, par voie de conséquence, éminemment étrangers dans notre patrie. Ne devenons-nous pas de plus étrangers au développement économique de cette terre québécoise qui est nôtre? Si on ne nous conteste plus la propriété foncière d’une partie de la vallée du Saint-Laurent, si on nous concède volontiers pour l’avenir le pénible grattage agricole des gneiss laurentiens, avec la pleine jouissance du muskeg subarctique de l’Abitibi, pas contre tout ce qui vaut réellement, tout ce qui compte sur l’heure, tout ce qui multiplie la richesse est aux mains des autres ». «C’est par la recherche que nous finirons par exister comme peuple» affirmait même l’un des premiers présidents de l’Association francophone pour le savoir, l’ACFAS, qui tient son congrès annuel ces jours-ci. On ne saurait mieux résumer l’esprit qui animait ces visionnaires.

Aussi faut-il se pencher attentivement sur l’état du français en sciences et, en particulier, sur les tendances du financement de la recherche en français. Pour la première fois, des données extensives provenant des trois principaux organismes subventionnaires fédéraux (IRSC, CRSH, CRSNG) ont été compilées sur une période de 30 ans.

Les résultats indiquent que nous assistons à un recul généralisé de l’usage du français comme langue de publication, comme langue de rédaction des mémoires et thèses et comme langue de soumission des demandes de financement.

Une donnée m’a particulièrement interpellée : soit celle prouvant qu’une demande effectuée en français aux IRSC a significativement moins de probabilité de succès (29,2%) qu’une demande effectuée en anglais (38,5%). C’est la première fois, à ma connaissance, que l’on établit de façon aussi claire que l’usage du français lors d’une demande de subvention à Ottawa diminue significativement la probabilité de succès du demandeur.

Il n’est donc pas surprenant d’apprendre que dans les 15 dernières années, seulement 7,06% des demandes financées aux IRSC, l’un des plus importants organismes subventionnaires fédéral, ont été rédigées en français. Les chercheurs ont parfaitement intégré le massage; l’usage du français en sciences leur ferme des portes.

Ce décalage de performance entre anglophones et francophones se traduit par une différence énorme en termes d’argent versé aux uns ou aux autres. Ainsi, sur la période 2019-2022, 98% des fonds des IRSC, 81% des fonds des CRSH et 96% des fonds du CRSNG ont été versés à des projets anglophones. Ce qui se traduit par 8,11 milliard de dollars pour les projets anglophones comparativement à seulement 0,42 milliard de dollars pour les projets francophones (4,9%). Le surfinancement des anglophones est donc absolument massif et l’usage du français en sciences équivaut souvent à une forme de suicide professionnel.

Alors que l’on nous affirme depuis longtemps que si les universités anglaises au Québec sont surfinancées (McGill, par exemple, dispose de 148% de plus de fonds par étudiant que l’UQAM et obtient 30% du financement en recherche versé par Ottawa au Québec), c’est parce qu’elles seraient « excellentes » et donc qu’il serait vain, contre-productif et injuste de remettre en question la répartition des fonds entres anglophones et francophones, ce que ces données prouvent, c’est qu’Ottawa favorise massivement les anglophones et pénalise l’usage du français en sciences au Canada.

Mais pas seulement son usage. Ainsi, si un francophone rédige une demande en anglais, son taux de succès se rapproche de celui des anglophones, tout en restant inférieur à celui-ci, l’écart résiduel entre les deux étant statistiquement significatif (p<0.05).

Face à ces résultats, il y a donc trois explications possibles, soit que : 1) les demandes en français ou provenant de francophones sont objectivement moins bonnes que celles en anglais, 2) il y a une discrimination directe en fonction de la langue, et 3) il y a une discrimination qui s’exerce à l’encontre des francophones, peu importe la langue de rédaction.

Si on exclut l’hypothèse, douteuse à mon avis, que les francophones seraient tout simplement moins bons en science, généralement, que les anglophones, il me semble que les données indiquent que le facteur principal à l’œuvre serait une discrimination directe en fonction de la langue de rédaction, suivi d’une discrimination exercée à l’encontre des francophones, peu importe la langue de rédaction.

Il est également possible qu’il y ait une perception générale au Canada à l’effet qu’une demande soit moins bonne, non en vertu de sa qualité objective, mais simplement parce qu’elle est rédigée en français ou par un francophone. La plus faible valeur symbolique de cette langue serait donc un handicap important pour ceux qui choisissent tout de même de l’utiliser (ou de l’avoir comme langue maternelle!).

Cela fait penser aux trouvailles de la Commission Laurendeau-Dunton dans les années soixante sur le revenu moyen au Québec en fonction de la langue de travail et de l’origine ethnique qui avaient permis de conclure à l’existence d’une double discrimination au Québec; l’une s’exerçant en fonction de la langue de travail (ceux qui travaillaient en français gagnaient moins que ceux qui travaillaient en anglais) et une autre s’exerçant en fonction de l’origine ethnique (les francophones gagnaient moins, même s’ils travaillaient en anglais!). Bien sûr, à l’époque, on pouvait au moins pointer du doigt la plus faible scolarisation des francophones comparativement aux anglophones pour expliquer au moins une partie de cet écart. Aujourd’hui cependant, tous les demandeurs (ou presque), francophones ou anglophones, aux IRSC ont au moins l’équivalent du doctorat. Si c’est réellement « par la recherche que nous finirons par exister comme peuple », alors on peut dire que notre existence même est menacée par les politiques de financement actuelles. Près de 100 ans plus tard, le programme dressé par frère Marie-Victorin reste donc d’actualité.

L’éléphant dans la pièce

Mais là où je diffère d’opinion, c’est sur la cause de la chute des effectifs étudiants à l’UQAM. Les auteurs affirment que la « pénurie de main-d’œuvre affecte les inscriptions universitaires » et particulièrement l’UQAM. Sans doute. Mais est-ce suffisant pour expliquer l’importante chute des inscriptions depuis 2014 (-9,15 % globalement et -23,4 % au premier cycle) ?

https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2023-04-24/replique/l-elephant-dans-la-piece.php