« Le chercheur indépendant Frédéric Lacroix estime que l’enseignement supérieur est l’un des principaux vecteurs d’anglicisation du Québec. Il déplore qu’un établissement francophone comme HEC Montréal doive augmenter son offre de formations en anglais pour concurrencer ses rivales anglophones.
« La langue des études terminales a un impact énorme sur la langue de travail », dit l’auteur de Pourquoi la loi 101 est un échec, publié en 2020, qui a remporté le prix du président de l’Assemblée nationale remis à l’essai politique de l’année.
Le chercheur note que la déréglementation des droits de scolarité des étudiants étrangers, décrétée en 2018 par le précédent gouvernement libéral, encourage les universités à recruter davantage à l’international. Les étudiants étrangers rapportent gros : les droits de scolarité pour les programmes courts à HEC Montréal s’élèvent à 11 400 $ pour les étudiants venus d’ailleurs, comparativement à 2300 $ pour les Québécois.
Le MBA en anglais, lui, coûte 60 000 $ aux étudiants étrangers. Environ 40 % des personnes qui y sont inscrites proviennent de l’étranger, indique HEC Montréal. Trois étudiants sur dix à ce programme de deuxième cycle en anglais sont déjà résidents permanents ; le reste a la citoyenneté canadienne. Ce MBA en anglais est offert en présence à Montréal, au nouveau campus de HEC Montréal au centre-ville, à compter de l’automne 2023.
Statistique Canada a démontré en 2021 que la moitié des étudiants étrangers deviennent résidents permanents, rappelle Frédéric Lacroix. Ces étudiants dits « internationaux » n’ont pas l’obligation d’apprendre le français durant leurs études.
Pour accorder par la suite la résidence permanente, Québec exige « la connaissance du français, mais non l’usage du français », rappelle le chercheur. Il estime que les étudiants étrangers ne devraient pas accéder à la résidence permanente au Québec s’ils sont incapables de faire « usage » du français dans leur vie de tous les jours. »
Rappelons que les cégeps anglophones sont peuplés aux deux tiers d’étudiants non anglophones. Frédéric Lacroix a démontré que, depuis le milieu des années 90, les cégeps anglais ont capté 95% de la hausse du nombre d’étudiants à Montréal. Alors que les cégeps francophones s’épuisent en recherche marketing et en diversification de leur offre de programme, un seul facteur est vraiment déterminant : l’anglais.
Il faut savoir que les anglophones du Québec ont toujours utilisé l’éducation comme moyen de conserver leur position dominante.
Selon l’historien Jean Philippe Croteau, l’existence de deux réseaux confessionnels, protestant et catholique, dont chacun était financé par les taxes foncières de la communauté qu’il sert, garantissait autrefois que les protestants anglophones, beaucoup plus riches en moyenne que les francophones catholiques, jouissent d’écoles mieux financées, donc plus attirantes.
Le néo-libéralisme a aujourd’hui succédé au colonialisme britannique. Le droit à la croissance braque les cégeps les uns contre les autres, et instaure une logique de concurrence qui fragilise le réseau collégial. Le bien commun et l’accessibilité à tous n’est plus la priorité.
La création de l’UQAM avait contribué à créer un Quartier latin francophone. Aujourd’hui, comme le fait remarquer le chercheur militant Frédéric Lacroix, dans la revue Action nationale (numéro de mars), « tout le quartier autour […] est en état de décrépitude avancée ».
À l’image du français et de ses institutions universitaires qui semblent de plus en plus négligés ? Créée peu après l’UQAM, en 1974, Concordia était considérée comme son pendant anglophone. Même but : améliorer l’accès aux études universitaires.
Au départ plus populeuse, l’UQAM perdit du terrain graduellement face à Concordia. À partir de 2018, les effectifs de celle-ci « dépassèrent ceux de l’UQAM ». En 2022, Concordia avait 3494 de plus que l’UQAM, note Lacroix.
Frédéric Lacroix s’est imposé ces dernières années comme un chercheur indépendant indispensable quand vient le temps d’analyser la situation du français au Québec. L’Assemblée nationale a même récompensé d’un très beau prix son ouvrage Pourquoi la loi 101 est un échec.
Et il signe, dans la revue L’Action nationale de mars, un dossier exceptionnel et remarquablement documenté consacré à ce qu’il appelle « la chute de la maison UQAM ».
Il montre comment et pourquoi l’UQAM, qui était une des grandes réussites de la Révolution tranquille, et qui était le symbole de la démocratisation de l’éducation supérieure pour les francophones, s’effondre aujourd’hui. Et s’effondre avec l’UQAM une partie du Montréal francophone, comme en témoigne la situation catastrophique du Quartier latin.
Le texte de Frédéric Lacroix publié le 21 mars en ces pages sonne l’alarme. Le secteur universitaire francophone perd dangereusement du terrain à Montréal. Ainsi, en 1995, année du référendum, l’Université du Québec à Montréal (UQAM) avait 13 956 étudiants de plus que Concordia. Vingt-sept ans plus tard, l’an dernier, c’est Concordia qui en avait 3494 de plus que l’UQAM. Pendant la même période, la clientèle étudiante de l’UQAM a baissé de 9,15 % et celle de Concordia a augmenté de 55,95 %.
Cela se passe alors que les deux universités sont des universités publiques, ce qui veut dire que le gouvernement québécois finance notre assimilation. Cela, autant au niveau universitaire qu’au niveau des cégeps.
Les syndicats locaux de 24 cégeps se sont prononcés dans les derniers mois en faveur de l’application de la loi 101 au cégep. « Nous on est des vrais multiculturalistes : on veut préserver la couleur, l’âme du Québec, on ne veut pas d’un Québec Netflexisé. »
« Cette semaine, une de mes étudiantes francophones s’est adressée à moi en anglais », murmure Marie-Lou Bouchard, enseignante en Communication au Cégep de Rosemont avec émotion. « Comme si c’était normal! », ajoute-t-elle avec désarroi.
Dehors, la pluie tombe dru. Le printemps n’est encore que la fin d’un hiver de force. Dans le café étudiant décoré au goût du jour, Mme Bouchard, 43 ans, raconte son combat quotidien contre l’hégémonie culturelle américaine et anglophone qui semble balayer au passage le théâtre, la chanson, la littérature, les médias d’ici, en français.
« Beaucoup de mes étudiants ne connaissent aucun artiste francophone, ne lisent pas en français, ne regardent jamais la télé en français, et nous sommes dans un cégep francophone! Imaginez, alors, quelle place occupe la culture québécoise dans l’éducation des francophones et les allophones qui étudient en anglais. »— Une citation de Marie-Lou Bouchard, enseignante
Si nous n’appliquons pas la loi 101 au cégep, nous courons tout droit vers l’assimilation. Nous allons disparaître culturellement, affirme Marie-Lou Bouchard.
Appliquer la loi 101 au cégep?
L’idée a été qualifiée d’extrémiste par le premier ministre François Legault. Même son très nationaliste ministre Simon Jolin-Barrette, qui pilote la réforme de la Charte de la langue française, s’est rangé dans le camp du non.
Pour freiner l’exode des étudiants francophones et allophones vers les cégeps anglophones, le ministre propose un gel des places dans le réseau anglophone pour 10 ans, dans l’espoir de renverser une tendance lourde.
Depuis 2001, les anglophones sont minoritaires dans les cégeps de langue anglaise. En 2018, selon le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, près de 40 % de leurs étudiants étaient allophones et 21 % étaient francophones.
Le ministre propose aussi une nouvelle épreuve uniforme de français pour les étudiants allophones et francophones qui étudient en anglais au collégial. Cette mesure fera en sorte que peu importe le système choisi, le niveau de français sera le même, nous a-t-on répondu au cabinet de Simon Jolin-Barrette. La nouvelle loi imposera aussi trois cours en français obligatoires pour les étudiants inscrits dans le réseau anglophone.
La fronde syndicale
Les deux syndicats qui représentent les professeurs de cégep, la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ) et la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep (FEC-CSQ), sont d’accord avec les mesures proposées par la Coalition avenir Québec (CAQ) et contre l’extension de la loi 101 au collégial.
Il faut savoir que les deux instances syndicales représentent aussi les professeurs du réseau anglophone et que l’imposition de la loi 101 au collégial viendrait bousculer la vie et les conditions de travail de leurs membres issus du réseau en question.
Or, de plus en plus de leurs membres disent haut et fort que ces mesures sont trop timides au regard du péril culturel qu’ils observent au quotidien.
Au printemps 2021, un mouvement discret se met en branle; le syndicat local d’un cégep dans le Bas-du-Fleuve fait adopter une motion en faveur de l’application de loi 101 au cégep, puis l’affaire fait boule de neige. Marie-Lou Bouchard a porté le dossier devant l’assemblée de son syndicat au Collège de Rosemont. C’était en février dernier. La motion a été adoptée par une écrasante majorité. C’était le neuvième cégep à se prononcer pour la loi 101.
Au début de cette semaine, en ce mois d’avril frisquet, la liste s’était allongée à 22 cégeps, et ça continue. Les professeurs continuent leur combat contre la position des centrales syndicales et pour le français.
Mercredi 6 avril, deux nouveaux cégeps ont voté en faveur de la motion. Résultat : 24. Pour l’instant.
Mercredi matin, nous rencontrons Frédéric Julien sur le trottoir, devant chez lui. Le professeur de littérature au Cégep Édouard-Montpetit, à Longueuil, a la COVID-19, mais ça ne l’empêche pas de préparer avec ardeur son argumentaire. C’est lui qui expliquera la motion à ses collègues en début d’après-midi.
On forme des citoyens, des êtres humains à qui on apprend à aimer une langue et un patrimoine, dit le petit-neveu de Pauline Julien, qui ne voudrait pas que la célèbre chanson Mommy, portée par sa grand-tante, sur la lente assimilation des francophones d’Amérique, soit prophétique.
Mommy, mommy, how come we lost the game / Oh mommy, mommy, are you the one to blame / Oh mommy, tell me why it’s too late, too late / Much too late, chantait Pauline Julien dans les années 70, en portant la parole d’une enfant qui demande à ses parents de lui parler du temps où l’on parlait encore français au Québec.
Frédéric Julien et Louise Beaudoin échangent sur la loi 101 et les dangers qui menacent le français au Québec.
PHOTO : IVANOH DEMERS
Alors que nous sommes toujours sur le trottoir devant la maison du professeur Julien, une dame passe et nous contourne. Un hasard étonnant. Il s’agit de l’ancienne ministre péquiste Louise Beaudoin. Elle s’arrête pour discuter avec nous. Le sujet, évidemment, l’intéresse au plus haut point.
Il est minuit moins une, mais il est toujours temps de le faire. Moi, je l’ai même dit en commission parlementaire, récemment, il faut absolument étendre l’application de la loi 101 au collégial, dit-elle d’emblée.
En 1977, Louise Beaudoin était chef de cabinet du ministre des Affaires intergouvernementales. On a cru, nous qui étions là au moment où la Charte a été adoptée, que le primaire et le secondaire en français suffiraient à donner l’élan nécessaire pour créer un mouvement naturel vers le français, mais aujourd’hui, on regrette de ne pas avoir inclus le cégep. Mais on ne pouvait pas prédire ce à quoi on assiste aujourd’hui, à savoir qu’il y a moins d’anglophones que de francophones dans les cégeps anglais aujourd’hui.
L’ex-ministre de la Culture et des Communications et ministre responsable de l’application de la Charte de la langue française(Nouvelle fenêtre) précise que, si la loi 101 nous a permis de préserver le français comme langue commune au Québec dans les dernières décennies, il faut maintenant l’étendre aux études postsecondaires.
Comme beaucoup de monde, Louise Beaudoin a lu l’étude de Statistique Canada publiée cette semaine qui fait état du fait qu’il existe un lien entre la langue d’enseignement de l’établissement postsecondaire fréquenté et la langue de travail.
L’étude indique entre autres que 23 % des diplômés de langue maternelle française utilisaient l’anglais de façon prédominante au travail lorsque leur dernier diplôme provenait d’un établissement de langue anglaise et que 46 % des diplômés de langue maternelle autre que le français ou l’anglais travaillaient principalement en anglais lorsque leur dernier diplôme provenait d’un établissement de langue anglaise , résume l’institution canadienne.
Mercredi, en début d’après-midi, les professeurs du Cégep Édouard-Montpetit ont voté oui à la motion présentée par M. Julien. Le même après-midi, le Cégep de Lévis s’est ajouté à la liste.
On se rend compte que parler de la langue au Québec est tabou, comme si c’était un enjeu ringard de vieux nationalistes qui portent des ceintures fléchées, dit en rigolant Nicolas Bourdon, professeur de français au Collège de Bois-de-Boulogne.
« Une certaine gauche multiculturaliste regarde cela de haut, comme si c’était dépassé. Ils n’ont pas l’air de se rendre compte que si nous nous battons en ce moment, c’est pour les livres, le théâtre, les médias, etc. Pour qu’il y ait encore des gens qui lisent en français dans 20 ans. »— Une citation de Nicolas Bourdon, professeur de français
M. Bourdon dit ne pas comprendre ce snobisme qui entoure la question linguistique.
L’attaché de presse de Simon Jolin-Barrette nous a indiqué que le ministre ne nous accorderait pas d’entrevue au sujet du mouvement des professeurs. Marc-André Gosselin nous écrit en outre : Notre position est connue. Forte, efficace. Le gel des places et la croissance future planifiée dans le réseau francophone renverse la tendance, dès maintenant, qui s’est installée en 1995.
Dans son bureau du Collège de Bois-de-Boulogne, Nicolas Bourdon fait valoir que cette proposition de geler les places ne fera que renforcer un des problèmes dénoncés par le mouvement Pour le cégep en français, c’est-à-dire que le réseau anglais draine les meilleurs étudiants.
Dans son livre, Pourquoi la loi101 est un échec, publié chez Boréal en 2020, le chroniqueur Frédéric Lacroix montre que le réseau anglophone attire les étudiants ayant les meilleures cotes R et plus d’étudiants dans les programmes préuniversitaires que dans les programmes techniques.
Gabriel Coulombe est professeur d’économie au Cégep Garneau. Il met en exergue le fait que le mouvement des professeurs en est aussi un pour la mixité sociale. Les étudiants qui font leur cours collégial en anglais continuent à l’université en anglais. En effet, selon une vaste enquête menée par la CEQ en 2010, 91 % des allophones qui étudient au cégep en anglais avaient l’intention de poursuivre des études universitaires en anglais.
Chez les francophones qui étudient en anglais, c’est 80 %.
« Ainsi, nous sommes en train de créer l’élite de demain, une élite socioéconomique qui aura été scolarisée en anglais et travaillera en anglais. Ce sera comme avant la Révolution tranquille. Les boss seront anglophones. »— Une citation de Gabriel Coulombe, professeur d’économie
Nous avons discuté avec la présidente de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du QuébecFNEEQ affiliée à la CSN, Caroline Quesnel, ainsi qu’avec Lucie Piché, présidente de la Fédération des enseignantes et enseignants de cégepFEQ affiliée à la CSQ. Toutes deux nous ont dit être à l’écoute et disposées à rouvrir les débats si une majorité de membres l’exigeait, même si la vague d’enthousiasme en faveur de la loi 101 au cégep, chez les professeurs, surprend.
Caroline Quesnel, présidente de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEQ-CSN)
C’est un débat de cœur, explique d’ailleurs Caroline Quesnel. Nous, on essaie de se situer dans le rationnel. Lucie Piché fait valoir que son syndicat s’inquiétait depuis longtemps, qu’il a toujours la volonté de protéger la langue commune et qu’il considère que les mesures mises en avant par le gouvernement constituent une solution valable. Québec vient mettre le pied sur la pédale de frein, pense Mme Piché.
Mais les deux syndicalistes disent aussi que ce débat doit avoir lieu dans l’arène politique. D’ailleurs, les professeurs avec qui nous avons discuté sont bien conscients que leur lutte doit sortir des officines syndicales. D’autres cégeps doivent encore se prononcer dans les prochaines semaines.
Afin de souligner la journée internationale de la Francophonie, le prix Prestige Impératif français 2022 a été décerné au conteur, scénariste, chanteur Fred Pellerin, et au chercheur, chroniqueur Frédéric Lacroix. Ces deux lauréats québécois sont honorés pour leur volonté de faire rayonner le français et sa culture aussi bien nationalement qu’internationalement.
En mettant en avant Fred Pellerin, l’organisme Impératif français veut souligner sa contribution aux arts de la scène du Québec. Depuis plus de 20 ans, M. Pellerin berce la francophonie tout entière avec ses spectacles de contes, tels qu’Il y a belle Lurette ou Un village en trois dés, tous inspirés de l’arrière-pays québécois.
Ce qui lui a d’ailleurs valu, en 2019, un doctorat honoris causa de l’Université du Québec à Trois-Rivières et quelques Félix au Gala de l’ADISQ.
« C’est un homme qui incarne le mieux le mot patrie. Patrie de la langue française, patrie de la culture. Et il s’appuie sur le féerique, le magique. Il crée un intérêt et dépasse les frontières du Québec pour rayonner partout dans le monde, mais encore plus au sein de la francophonie », a commenté Jean-Paul Perreault, président d’Impératif français.
Pour ce qui est de Frédéric Lacroix, l’organisme évoque sa remarquable contribution au débat sur la situation linguistique au Québec.
En 2020, il publie d’ailleurs un essai sur la situation du français au Québec nommé Pourquoi la Loi 101 est un échec. Un ouvrage qui lui a valu le Prix du livre politique de l’Assemblée nationale. Il enchaîne en 2021 avec Un libre-choix: cégeps anglais et étudiants internationaux, un regard sur la question de la langue d’enseignement au niveau collégial, une situation de libre-choix qui selon les recherches de M. Lacroix conduit de plus en plus, à la fin du français comme langue commune à Montréal.
ARCHIVES LE DROIT, PATRICK WOODBURY
Des questions de fond qui méritent d’être soulignées, ajoute M. Perreault.
« On connaît tous la géographie et l’histoire du Québec, l’histoire de la francophonie nord-américaine. De voir qu’il y a chez nous, des chercheurs, des analystes qui prennent le temps d’examiner à la lumière des statistiques, qui prennent le temps d’examiner la situation de la culture dans la société québécoise, dans la francophonie canadienne et dans son cas la situation de la langue, ce genre d’expertise mérite d’être valorisé. »
Derrière le prix, un combat
En 47 ans d’existence, Impératif français qui est un organisme de défense et de promotion de la langue française, constate «avec effroi» l’américanisation de la société québécoise. Par conséquent, il voit en chacune de ces remises de prix une opportunité de faire valoir la culture et l’identité québécoise aux yeux du monde, affirme M. Perreault.
« Nous ne sommes pas là pour défendre le français. Nous sommes-là pour le voir avancer, le voir progresser. Voir davantage de création à rayonnement ici, à rayonnement extérieur ou international. De continuer à faire développer et à offrir au monde une des sociétés les plus évoluées de la planète. Nous voulons un Québec moderne et de penser qu’on a du plaisir de créer, d’offrir à l’humanité un endroit unique et différent qui s’appelle le Québec », déclare Jean-Pierre Perreault en guise de conclusion.
J’ai lu avec un grand intérêt le manuscrit de votre dernier ouvrage, que vous m’aviez envoyé.
Il est heureux que vous ayez accepté de faire ce travail, de mener ces recherches jusqu’à leur publication. Il en résulte un ouvrage à la fois engagé et savant. Il est engagé par les dénonciations que vous faites des législations et des décisions passées et présentes, qui fragilisent le statut du français au Québec, et annoncent un avenir encore plus inquiétant. Votre ouvrage est savant par sa rigueur intellectuelle et le soin que vous avez pris dans la recherche des données et dans leur présentation.
Vous avez apporté une contribution percutante au débat actuel, dont il faudra tenir compte dans les décisions à venir. C’est en tout cas ce que j’espère, touchant l’extension de la Loi 101 au cegep et les politiques d’immigration, à tout le moins. Ce gouvernement en aura-t-il le courage?
Je profite de l’occasion pour vous dite quelques mots de la Commission Parent. Ayant été alertés par des mémoires et certaines conversations sur l’anglicisation des enfants des immigrants, deux ou peut-être trois membres de la Commission proposèrent que, dans notre Rapport, nous recommandions au gouvernement de légiférer pour imposer l’école française aux enfants d’immigrants. Mais la majorité des commissaires s’y opposèrent fortement. Ce fut l’objet d’un vif débat au sein de la Commission. Mais il fut accepté finalement qu’au moins nous en parlerions. D’où les huit pages du Rapport qui en traitent (chapitre III,, section IV), le compromis entre nous étant de compter sur ce que vous appelez la «concurrence». Nous avions obtenu subrepticement les données de la CECM, qui prétendait ne pas en avoir, comme le prétendait la Commission scolaire protestante, sur les origines ethniques des élèves. Cela nous permit de présenter le Tableau V, que nous trouvions convainquant et inquiétant.
Mais ces huit pages, que nous croyions de la dynamite, n’ont attiré l’attention d’à peu près personne à l’époque. Nous étions pourtant à la veille de la crise de St-Léonard.
J’espère que vous allez bien et que vous continuez vos travaux de recherche.
Décomposons ensemble ce stupéfiant graphique, élaboré par Frédéric Lacroix, auteur récemment de l’excellent ouvrage Un libre choix ?, sur la situation linguistique en éducation supérieure.
Immigration permanente. C’est la ligne pleine qui montre que, bon an mal an, avant la pandémie, entre 50 000 et 55 000 immigrants devenaient résidents au Québec. Tout le débat se concentre sur cette donnée des « seuils d’immigration ». Nous savons déjà qu’à ce niveau, le Québec reçoit davantage d’immigrants par habitant que les États-Unis, la France ou le Royaume-Uni, mais moins que l’Australie, l’Allemagne et le Canada. (La baisse de 2019 sera compensée par un rattrapage, à 70 000, cette année.)
Immigration temporaire. C’est la ligne en pointillé qui monte inexorablement et qui rend caduque — sans objet ou risible, au choix — le débat sur les seuils. Cette immigration, gérée par le fédéral, est constituée pour plus de moitié d’étudiants étrangers, le reste étant des travailleurs temporaires de tous les secteurs. Une partie d’entre eux deviendront des immigrants permanents (donc un jour comptés parmi les 55 000), mais le nombre de permis délivrés augmente sans cesse. Alors si vous pensiez que le Québec accueillait par an environ 55 000 personnes, vous sous-estimiez le nombre de 150 000.
En arrivant, le français ? No thanks !Sur le graphique, l’espace bleu représente la proportion de tous les immigrants qui déclarent connaître le français, l’espace rouge, ceux qui déclarent ne pas le connaître. En détail, la proportion des permanents qui avouent ne pas le maîtriser au point d’entrée est passée de 42 % en 2015 à presque 50 % en 2019. Cette donnée est assurément sous-évaluée, car chaque contrôle opéré a posteriori, par le vérificateur général ou les agents d’immigration, révèle qu’il y a toujours moins de français que ce qui est affiché. Chez les étudiants étrangers, l’ignorance du français est passée de 35 % en 2014 (44,5) à 43 % (45,2) en 2019. Parmi les travailleurs temporaires du programme de la mobilité internationale (ne parlons pas de la main-d’œuvre agricole, massivement hispanophone), 37 % déclaraient en 2019 ne pas connaître la langue de Molière et pour 40 % d’entre eux, on ne le sait pas ! Faut-il même croire ces chiffres ? Aucune preuve n’est requise. Plus largement, l’objectif du gouvernement Legault est de faire croître de 15 % le nombre de travailleurs temporaires d’ici 18 mois.
Une fois arrivés, toujours no thanks !Peut-être les étudiants étrangers tombent-ils amoureux du français, une fois plongés dans notre métropole francophone ? Une étude de Statistique Canada vient détremper nos espoirs et nous détromper : « Malgré leurs intentions initiales d’apprendre le français, la plupart des étudiants n’ont pas réellement amélioré leurs compétences linguistiques à cause de contraintes temporelles, d’un manque de motivation, ou parce qu’ils interagissent principalement avec des étudiants anglophones. »
L’impact sur Montréal. Le graphique indique les entrées annuelles, mais — sauf pour les étudiants étrangers — pas le nombre cumulatif. Pour faire simple, si on ne compte pour 2019 que ceux qui déclarent ne parler que l’anglais et qui sont à Montréal, au moins 26 500 jeunes étrangers alimentent l’anglicisation montréalaise. Ajoutons ceux qui ne parlent que l’anglais parmi les étudiants canadiens-anglais (5363), les cadres et professionnels temporaires (9300) et les immigrants permanents (8860), et cela fait 50 000 personnes. C’est l’équivalent de plus de deux fois la ville ontarienne de Brockville. Il s’agit de l’hypothèse basse. Comme l’écrit Frédéric Lacroix parlant des maisons d’éducation publiques et privées anglophones, la politique d’immigration temporaire canadienne est en train de créer, « centrée sur McGill, Dawson, Concordia, Matrix, Herzing, etc., une cité-État anglophone au cœur de Montréal ».
Mais le projet de loi 96 ? J’aimerais pouvoir dire que, face à cet afflux, le projet caquiste offrira un rempart. Mais on n’y trouve pas le début d’une tentative de correction. Le gouvernement Legault, qui autorise les agrandissements de Dawson et de McGill, ne prévoit rien pour réclamer, par exemple, une connaissance préalable du français dans la sélection des étudiants étrangers ou une obligation de formation en français pendant leur séjour. Pire : le PLQ, lui, nous avait habitués à fixer, pour l’immigration permanente, des cibles de connaissance du français qu’il échouait à atteindre. Le premier ministre Legault, ses ministres, son caucus n’ont même plus de cible. Ils observent ce déclin, cet engloutissement linguistique du centre-ville, en spectateurs désintéressés.
En l’espace de quelques années, Frédéric Lacroix s’est imposé comme un des chercheurs les plus perspicaces et les plus écoutés quand vient le temps d’analyser la situation du français au Québec. Et depuis quelque temps, il nous met en garde contre le rôle des institutions d’enseignement supérieur dans l’anglicisation du Québec. Le problème est bien plus grave qu’il n’y paraît, comme il nous l’explique dans ce grand entretien qui analyse dans toutes ses dimensions le problème.
MBC: Que se passe-t-il avec les étudiants étrangers au Québec? Car à vous entendre depuis quelque temps, la situation semble alarmante.
FL: Le Devoir révélait, dans un article du 19 novembre dernier, qu’Ottawa refusait de plus en plus d’accorder des permis d’études temporaires à des étudiants francophones pourtant dûment acceptés par des institutions d’enseignement québécoises. Ces refus semblent cibler surtout les étudiants originaires d’Afrique, malgré des dossiers répondant à toutes les exigences. Ainsi, en moins de deux ans, Ottawa a refusé des permis à 35 642 étudiants originaires d’Afrique. Le taux de refus de permis au Québec par Ottawa oscille entre 61 et 52% dans les dernières années, soit de 15 à 20 points de plus que le taux moyen de refus ailleurs au Canada. Encore mieux: le taux de refus au Québec est plus élevé que celui qui est hors Québec pour des étudiants originaires des mêmes pays d’Afrique. Il est difficile d’éviter d’en arriver à la conclusion que ce que les services d’immigration canadiens n’aiment pas, c’est le fait que ces étudiants se destinent à des études en français au Québec.
Dans les dernières années, il y a eu un revirement spectaculaire dans la fréquentation des institutions d’enseignement québécoises par les étudiants étrangers. Alors qu’auparavant, la majorité des étudiants étrangers au collégial, par exemple, étaient inscrits dans les cégeps de langue française, c’est maintenant l’inverse: la majorité des étudiants étrangers sont inscrits dans les institutions de langue anglaise. Ce revirement majeur s’est produit en douce, sans faire de vagues, presque en cachette.
La figure suivante illustre l’évolution dans le temps de la proportion des étudiants internationaux qui sont inscrits dans un cégep de langue anglaise au Québec (source).
Face à ce revirement, l’absence de réaction du gouvernement du Québec est frappante. On se rappellera qu’à la suite des arrestations de certains dirigeants de collèges privés ou d’agences de recrutement d’étudiants étrangers indiens par l’UPAC en 2020, pour allégations de «stratagèmes de fraude» face au système d’immigration, la ministre responsable de l’Enseignement supérieur (MES), Danielle McCann, fut forcée de s’intéresser à la question. En juin 2021, elle a réagi au rapport d’enquête (qui est toujours en grande partie confidentiel) en mettant en place une série de «mesures» ciblant les collèges privés, mesures qu’il serait charitable de qualifier de «minimalistes». Par exemple, Mme McCann songeait, «possiblement», à intégrer des «notions» de français dans les parcours d’études des étudiants étrangers. Les timides solutions retenues par la ministre sont sans commune mesure avec l’ampleur des problèmes.
Car ce qu’il faut bien comprendre, comme le rapport d’enquête du MES l’a révélé, c’est que la grande majorité de ces étudiants sont au Québec non pas pour acquérir un diplôme, mais pour la première étape dans leur processus d’immigration au Canada. L’intérêt premier des étudiants «n’est pas les études», comme le dévoilait le rapport d’enquête. Voilà pourquoi ils acceptent de payer en moyenne 25 000$ afin d’obtenir une «Attestation d’études collégiales», ou AEC, sésame qui leur ouvre l’admissibilité aux programmes d’immigration permanents. Vingt-cinq mille dollars versés à un collège privé, c’est le prix d’entrée pour participer à la loterie de l’immigration canadienne.https://f3e86726cc32a596267d73d16ef082b0.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.html
MBC: Quel est le lien entre les étudiants étrangers et l’immigration?
FL: L’information manquante dans ce dossier, celle qui n’a pas encore, à mon avis, percé la conscience collective, est le lien de plus en plus étroit entre le système d’immigration et le système d’enseignement supérieur.
Il faut savoir qu’Ottawa a opéré, depuis quelques années, une transformation radicale du système d’immigration canadien. En 2014, le gouvernement fédéral a lancé sa nouvelle stratégie en matière d’éducation internationale, stratégie qui visait à doubler le nombre d’étudiants étrangers au Canada d’ici 2022, en soulignant explicitement que ces étudiants étaient admissibles à la résidence permanente et constitueraient dans l’avenir une source importante de main-d’œuvre. En avril dernier, le ministre de l’Immigration fédéral a, en plus, ouvert 40 000 nouvelles places pour des immigrants permanents issus des institutions d’enseignement canadiennes.
Historiquement, le processus d’immigration était un processus en «une étape», c’est-à-dire que les immigrants, du moins les immigrants économiques, étaient sélectionnés directement à l’étranger sur la base de leur adéquation avec les besoins du pays. Ces besoins étaient exprimés à l’aide d’une grille de sélection accordant des points selon que l’immigrant possédait telle ou telle caractéristique (âge, niveau de scolarité, connaissance des langues, etc.).
Mais un processus en «deux étapes» concurrent a progressivement été mis en place. La première phase de celui-ci consiste dans la venue de l’immigrant à l’aide d’un statut temporaire (permis de travail ou permis d’études); une fois un diplôme ou une expérience de travail acquis, il peut alors postuler pour un statut permanent à l’aide du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), créé spécifiquement par Québec pour répondre à cet objectif d’Ottawa. Si le Programme régulier des travailleurs qualifiés existe toujours (il s’agit du volet de l’immigration dite «économique»), son importance relative dans les dernières années n’a cessé de décroître. On estime qu’environ 50% des immigrants permanents au Canada sont maintenant issus de la filière de l’immigration temporaire. Et cette proportion est en augmentation rapide. Les collèges et les universités, même au Québec, ont donc été intégrés au système d’immigration canadien; ils forment le premier maillon du système d’immigration canadien. Ce rôle qui leur a été assigné par Ottawa leur est très lucratif; on estime qu’aujourd’hui, les universités récoltent plus d’argent de la part des étudiants internationaux que de celle des gouvernements provinciaux. Les universités sont donc, à l’aide d’Ottawa, en train de s’autonomiser, dépendent de moins en moins des gouvernements «provinciaux», et de plus en plus des programmes gérés par Ottawa. Dans les faits, indirectement, le fédéral est en train de prendre progressivement le contrôle du réseau postsecondaire.
Cela est aussi vrai au Québec, et surtout pour les institutions d’enseignement de langue anglaise. Ce sont les institutions offrant des programmes en anglais, majoritairement, qui profitent de la manne des étudiants étrangers. Cela explique pourquoi tout le réseau universitaire de langue française est en train de s’angliciser à grande vitesse; il s’agit de tenter de compétitionner avec McGill, Concordia et Bishop’s en tentant d’attirer une part de la manne des étudiants étrangers. À HEC, par exemple, le succès des programmes en anglais est tel que les programmes en français sont en perte de vitesse et sont menacés, si le déclin se poursuit, de fermeture. Les étudiants étrangers qui viennent faire un MBA à HEC peuvent payer jusqu’à 40 000$ par année de frais de scolarité. Pour les universités de langue française, l’anglicisation est donc une décision rationnelle, une décision d’affaires. Refuser de le faire signifierait qu’on accepte un statut de deuxième rang face à McGill. Dans le naufrage actuel des institutions de langue française, Ottawa est le chef d’orchestre et Québec se contente de suivre la partition qui lui est dictée par le fédéral.
La mission des institutions d’enseignement de langue anglaise, premièrement, mais aussi celle des institutions de langue française au Québec ont donc, dans les dernières années, été détournées. Ces institutions ont été intégrées dans la nouvelle stratégie canadienne d’immigration.
Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que l’immigration temporaire est entièrement contrôlée par le fédéral; si le Québec possède un certain droit de sélection des immigrants permanents dans la catégorie «immigrants économiques», il n’en possède aucun dans la catégorie des immigrants temporaires, se contentant d’émettre des certificats d’acceptation du Québec (CAQ) aux immigrants admis par les cégeps et les universités. Qui plus est, ce sont les institutions d’enseignement de langue anglaise qui se retrouvent, indirectement, à sélectionner une bonne partie des futurs immigrants permanents au Québec; la première étape du processus pour l’immigrant potentiel est de se faire accepter comme étudiant dans un collège ou une université, par suite de quoi Québec émet (automatiquement et sans poser de questions, selon ce que l’on comprend) un CAQ et le fédéral délivre un permis d’études (ou non). C’est cette dernière étape qui pose problème au fédéral, comme l’a révélé LeDevoir – mais seulement pour les étudiants qui viennent étudier en français au Québec. Pour le dire simplement: une partie croissante de la sélection des immigrants au Québec est maintenant indirectement sous-traitée à McGill, à Concordia, à Matrix, etc.
Dans mon livre Un libre-choix? Cégeps anglais et étudiants internationaux : Détournement, anglicisation et fraude, je brosse le portrait de l’effet combiné de ce changement de la politique d’immigration avec l’obstination irraisonnée du gouvernement du Québec de maintenir à tout prix la doctrine du «libre-choix» de la langue d’enseignement au postsecondaire, libre-choix qui s’applique autant aux citoyens canadiens qu’aux futurs immigrants. L’effet du laisser-aller du Québec en immigration, combiné au maintien du libre-choix, est une anglicisation rapide de tout le système collégial et universitaire. Et par la bande, de toute la région de Montréal.
Il est à noter que les cégeps privés, qui constituent maintenant la principale porte d’entrée des immigrants anglophones au Québec, ont été exclus du projet de loi 96. Le traitement de faveur fait aux cégeps privés aura d’immenses conséquences sur l’avenir linguistique du Québec. À mon avis, cette voie d’accès à la citoyenneté canadienne au Québec devrait être simplement fermée, car elle ne sert aucunement les intérêts supérieurs du Québec. Le gouvernement du Québec en a le pouvoir. Il peut simplement retirer les permis de ces établissements. Ou refuser d’émettre des CAQ. Mais il refuse d’agir.
Pire, Québec accélère même le processus. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’agrandissement de 100 millions promis à Dawson College et le don royal (une valeur de 700 à 1000 millions de dollars) de l’ancien hôpital Royal Victoria (un bien public) à McGill University (une corporation privée); un but de ces agrandissements est de permettre à ces institutions de langue anglaise d’accueillir encore plus de lucratifs étudiants internationaux, étudiants qui permettront à ces institutions de s’enrichir et de prendre éventuellement encore plus d’expansion. Notons que McGill University est pourtant, et de très loin, l’université la plus riche au Québec, avec 1,7 milliard de dollars dans sa fondation et des actifs immobiliers de près de 5 milliards de dollars. Québec s’apprête donc à faire un don gargantuesque à l’université la plus riche, et une université anglaise, pour lui permettre de consolider encore plus sa position de domination à Montréal. Cela est incompréhensible.
Ces étudiants, socialisés et intégrés au Québec anglais, seront ensuite sélectionnés par Québec comme immigrants permanents, pour peu qu’ils démontrent une «connaissance» minimale du français (une exigence du PEQ). Une fois admis, ils iront grossir les rangs de la communauté anglophone. Québec rompt ainsi avec la politique d’immigration historique qui cherchait à sélectionner des immigrants francophones qui allaient s’intégrer au Québec français. C’était cette politique, surtout, qui avait permis une amélioration des substitutions linguistiques des allophones vers le français. Ce que le changement de cap d’Ottawa et de Québec annonce pour l’avenir, c’est une accélération brutale du recul du français dans toute la région de Montréal.
Nous avons vu s’exprimer dans la personne du candidat Balarama Holness, aux dernières élections municipales, une volonté maintenant ouverte d’extraire Montréal du Québec français et d’en faire une région autonome à dominante anglophone. Et le gouvernement du Québec appuie sur l’accélérateur de cette tendance, qui prendra de l’importance dans les décennies à venir, au fur et à mesure que le poids démographique des francophones s’écroulera au Québec en général et dans la région de Montréal en particulier. On comprend très mal ici la logique d’un gouvernement qui se dit par ailleurs nationaliste.
MBC: Que faudrait-il faire? Y a-t-il des réformes envisageables pour renverser cette situation?
FL: Le changement du système d’immigration canadien signifie que la doctrine du «libre-choix» au postsecondaire, doctrine qui pouvait possiblement se justifier dans le passé, ne peut plus tenir. On ne peut pas utiliser les institutions d’enseignement pour angliciser les futurs immigrants et ensuite, prétendre les franciser en leur offrant des cours de français, même gratuits. Car l’intégration à la communauté anglophone est déjà réalisée et l’usage de l’anglais, fermement ancré. Demander une connaissance du français a posteriori ne suffira pas à changer cet état de fait. Car il faut savoir que c’est l’usage d’une langue, et non pas sa simple connaissance, qui détermine sa vitalité et son attractivité. Imposer l’usage de l’anglais dans les institutions d’enseignement a des effets infiniment plus structurants que de tenter d’imposer la connaissance du français par après. Le gouvernement du Québec semble ignorer la distinction fondamentale à faire entre «usage» et «connaissance».https://f3e86726cc32a596267d73d16ef082b0.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-38/html/container.html
Il faut donc renoncer au libre-choix, doctrine qui a la même origine intellectuelle que la Loi sur les langues officielles fédérale, soit le bilinguisme compétitif. Le réseau postsecondaire de langue française ne pourra pas survivre si on lui impose de compétitionner avec le réseau de langue anglaise, car la compétition se fait à armes très inégales; d’un côté, les étudiants qui veulent étudier en anglais viennent souvent de pays plus riches que ceux qui viennent étudier en français, et de l’autre, les universités anglaises, comme McGill, sont plus riches. Quand on force l’UQAM (28,7 millions de dollars dans sa fondation) à compétitionner avec McGill (1700 millions dans sa fondation), on sait déjà qui va gagner.
Il faut aussi restructurer toute la politique d’immigration du Québec pour se dégager du virage imposé par le fédéral et tenter de revenir à la politique d’immigration historique du Québec, qui était de sélectionner préférentiellement des francophones ou des «francophonisables». Cela signifie que les étudiants qui obtiennent des diplômes de programmes en anglais au Québec ne doivent pas être admissibles au Programme de l’expérience québécoise ou au Programme régulier des travailleurs qualifiés. Si le Québec n’a aucun pouvoir de sélection face à l’immigration temporaire, il pourrait, par contre, selon les termes de l’Entente Canada-Québec, refuser d’accorder des CAQ automatiquement à quiconque est accepté par une institution anglaise. Il pourrait limiter le nombre de CAQ émis pour les programmes en anglais à 10% du total annuel, soit l’équivalent du poids démographique des anglophones.
Il faut aussi se pencher sur ce qui se passe du côté des travailleurs temporaires, dont le nombre augmente exponentiellement depuis des années. Il faudrait, à mon avis, refuser d’émettre des CAQ pour des travailleurs destinés à des entreprises dont la langue de travail est l’anglais (ce qui est très souvent le cas à Montréal). Car il est évident, les mêmes causes produisant les mêmes effets, que des travailleurs temporaires qui travaillent en anglais au Québec iront éventuellement grossir les rangs de la communauté anglophone une fois acceptés comme immigrants permanents.
Bref, même coincé dans le statut «provincial» qui est le sien, le Québec a une certaine marge de manœuvre pour tenter de redresser la situation. Il n’est pas condamné à l’impuissance.
Ce qui semble faire le plus cruellement défaut, c’est la volonté politique de changer les choses.
Mais M. Legault a entre ses mains ce qui est peut-être la dernière chance historique d’infléchir le destin qui est maintenant réservé au Québec français, soit la minorisation, le déclin et l’agonie culturelle.
Soit il saisit cette chance, soit les nationalistes, je dis bien les nationalistes, doivent, de toute urgence, travailler à une alternative politique.