Le nombre, le nombre, le nombre

Dans une scène mémorable du film « Le déclin de l’Empire américain », le personnage joué par Rémy Girard, un prof d’histoire de l’université de Montréal, explique que trois choses comptent en Histoire : « Premièrement le nombre, deuxièmement le nombre, et troisièmement le nombre. Ça veut dire que les noirs Sud-africains finiront certainement un jour par gagner alors que les noirs nord-américains n’arriveront probablement jamais à s’en sortir. Ça veut dire aussi que l’Histoire n’est pas une science morale. Le bon droit, la compassion, la justice sont des notions étrangères à l’Histoire ».

Ce petit discours m’est revenu en tête à la lecture de la dernière étude publiée par le Commissaire à la langue française le 10 novembre dernier, intitulée « La mixité dans les milieux de vie selon le groupe linguistique et la génération d’immigration ».

Derrière le vernis techno-bureaucratique, cette étude est le document le plus effrayant, le plus épouvantable jamais publié par une instance officielle du gouvernement du Québec.

Pourquoi? Car c’est la démonstration mathématique, implacable, de notre minorisation -celle du peuple historique de langue française- en cours. Une minorisation qui ne relève pas d’un fantasme lointain ou d’une quelconque théorie du complot; une minorisation qui est un fait, qui est accomplie déjà sur de grandes parties du territoire et qui sera bientôt complétée pour l’ensemble du Québec.

L’effondrement de la majorité historique francophone dans les écoles primaires et secondaires

C’est à la page 72, en annexe, que l’on trouve un tableau indiquant « L’évolution de la proportion d’élèves de troisième génération ou plus selon l’ordre et le réseau d’enseignement ». Ces « élèves de 3ème génération ou plus », rappelons-le, sont ceux nés au Canada de deux parents nés au Canada alors que les 2ème génération sont ceux nés au Canada avec au moins un parent né à l’étranger tandis que les 1ère génération sont ceux nés à l’étranger.

La proportion de 3ème génération (ou plus) peut être comprise, grosso modo, comme étant la proportion de Québécois francophones, d’origine canadienne-française ou s’y étant intégrée il y a longtemps, qui compose l’effectif scolaire (surtout dans les Centres de services scolaires de langue française, cela dit).

Bien sûr, ce type d’analyse comporte plusieurs limitations : un 2ème génération, surtout si l’enfant est issu d’un mariage mixte, peut être bien intégré dépendant de l’origine des parents, du milieu d’accueil, etc. Cependant, le ministère de l’Éducation ne collecte aucun autre type de donnée et en conséquence, nulle autre analyse n’est réalisable. Mais l’utilisation du statut d’immigration au lieu d’autres indicateurs potentiellement plus précis ne change pas, selon moi, les conclusions générales.

La figure 1 reproduit le Tableau B18 en question.

L’on constate, à la figure 1, que la proportion de 3ème génération et plus dans l’effectif scolaire préscolaire, primaire et secondaire est passée de 83,6% en 2004-2005 à 64,1% en 2024-2025, soit une chute de 23,3% en 20 ans seulement.

Cela n’est pas une « baisse », c’est un effondrement sans précédent dans l’histoire du Québec. Répétons-le : une telle chose, d’une telle rapidité et d’une telle brutalité, n’est jamais arrivée auparavant.

Si l’on savait que le plancher des 80% de francophones avait été défoncé sur le plan de la langue maternelle (76,3%) et de la langue parlée le plus souvent à la maison (79,1%) depuis le recensement de 2021 (voir mon texte « La fin de l’éternité »), ces chiffres valaient pour la population en général et la majorité francophone, bien qu’en baisse, restait une majorité.

Cette étude du Commissaire nous fournit cependant un portrait de la situation dans les classes d’âge scolaire. Et il est dantesque : Les 3ème génération sont maintenant minoritaires dans les écoles partout dans le grand Montréal et en baisse rapide à peu près partout ailleurs (p.71) : ils sont 29,1% seulement à la CSS de Montréal, 36,3% à Marie-Victorin (Longueuil), 56,2% aux Découvreurs (Québec), 18,1% (!!!) à la Pointe-de-l’ile, 47,5% aux Portages-de-l’Outaouais, 69,9% dans la Région-de-Sherbrooke, etc.

La fiction de l’intégration

L’intégration est d’abord une question de rapport de force démographique. Elle a peu à voir avec « l’ouverture », la « gentillesse », le « cœur », etc., bien que ces qualités puissent rendre le processus plus agréable que moins. On s’intègre, processus long, pénible et plein de deuils, par la force des circonstances, le plus souvent parce qu’on désire améliorer son sort et  donner un avenir plus intéressant à ses enfants, parce qu’on a fait le choix de se déraciner.

Des études ont déjà démontré qu’en bas de 80% de francophones (langue maternelle) dans un lieu donné, les immigrants au Québec ne s’intégraient pas à la « majorité francophone » et convergeaient plutôt massivement vers l’anglais. Pour que l’intégration se fasse, il faut que la « majorité » existe réellement, charnellement, dans les institutions intégratrices, comme l’école. L’intégration ne peut se faire dans un contexte où la société d’accueil disparait de celles-ci.

Aujourd’hui, partout dans les régions majeures de contact avec les immigrants au Québec, les 3ème génération sont maintenant en minorité dans les écoles. Le contact des élèves issus de l’immigration avec des Québécois et donc avec la langue française mais aussi avec la culture québécoise est de plus en plus évanescent. Le français est donc rétrogradé à une langue scolaire, utilisée passivement lorsque requis alors que la langue de socialisation, de culture est de plus en plus l’anglais. Le rapport de force démographique qui existait auparavant et qui permettait (en partie) l’intégration a été pulvérisé sur de larges pans du territoire.

Akos Verboczy, dans son livre « Rhapsodie québécoise : itinéraire d’un enfant de la loi 101 » avait fait le portrait du mépris qui régnait envers la culture québécoise dans son école secondaire -où les Québécois de souche étaient presque totalement absent- du Notre-Dame-de-Grâce dans les années 90. Mais ce phénomène, qui était circonscrit à quelques écoles à très haute densité d’élèves issus de l’immigration situées dans l’ouest de Montréal il y a trente ans, s’est maintenant généralisé à l’ensemble de la grande région de Montréal et est en train de métastaser à Québec, Sherbrooke, Trois-Rivières, etc. Le Québec au complet est en train de se « westislandiser ».

Avec cet éclairage, toute une série d’évènements en apparence disparates qui ont fait surface dans les dernières années s’ordonnent et prennent leur place dans un cadre logique. On peut mieux comprendre, par exemple, cette chronique coup de poing de Jean-François Lisée (« Identité anti-québécoise ») publiée en février 2024, qui rassemblait un ensemble impressionnant d’anecdotes sur le mépris du Québec et de la culture québécoise qui règne dans de nombreuses écoles de langue française dans le grand Montréal. Ou ce papier du JdeM d’avril 2024 (« Le français boudé dans des écoles: «C’est juste “inconvenient” pour moi» ») qui montrait que l’anglais est maintenant la langue commune dans nombre d’écoles. Ou cette lettre crève-cœur, à lire absolument, (« Longtemps j’ai refoulé mon identité québécoise » ) d’une jeune québécoise ayant été scolarisée dans une école à majorité immigrante à Laval il y a 20 ans et qui en est venue, afin de « s’intégrer », à avoir honte de son identité québécoise. Ou ce documentaire (« Garçons, un film de genre »), où des jeunes filles d’une école de Gaspésie en visite dans une école de Montréal-Nord se font fait traiter de « plotte gaspésienne » et « d’estie de blanche ». Le directeur d’école de Montréal-Nord intervient même pour dire que la « présence d’un paquet de blancs » dans son école a causé un « effet de curiosité ». En effet.

Sur de grandes parties du territoire québécois, le tissu social dans les écoles est déchiré. Nous sommes face à un échec retentissant non seulement de la loi 101, mais de l’ensemble de notre politique d’immigration, échec qui ira grandissant au fur et à mesure que les québécois francophones seront minorisés de plus en plus profondément partout au Québec.

Le point de bascule, celui où nous passerons en bas du 50% dans les classes d’âge scolaire, sera atteint, au rythme actuel, d’ici un peu plus de 10 ans (demain!) pour l’ensemble du Québec.  

Après cela, un verrou démographique sera posé sur notre avenir, et la majorité historique francophone -maintenant minorité- sera dépouillée à jamais de la possibilité de décider de son avenir politique.

L’union des forces pour détruire la majorité francophone au Québec

La minorisation des Québécois francophones dans les écoles, qui sera terminée bientôt, est l’accomplissement d’un très vieil objectif d’Ottawa, formulée d’abord explicitement par Lord Durham, qui était « d’oblitérer la nationalité » des Canadiens-français. La mise en minorité des francophones à la grandeur du Canada allait permettre de repousser le danger de l’indépendance du Québec et conduire au pays rêvé unitaire, anglophone. Cet objectif, reformulé récemment en termes purement économiques par le lobby Century Initiative est une constante de la politique intérieure du Canada depuis des siècles.

Dans les dernières décennies cependant, dans une belle démonstration « d’intersectionnalité », deux autres courants idéologiques sont venus en renfort de cet objectif, soit l’immigrationnisme économique du patronat et le postmodernisme héritier du marxisme. Le premier réduit les êtres humains à un intrant déplaçable à volonté afin de répondre aux besoins de l’usine globale et le second a remplacé la figure du peuple par celle de l’immigrant et cherche, en instrumentalisant ceux-ci, à détruire l’ordre social occidental traditionnel fondé sur des peuples historiques, enracinés, en majorité d’ascendance européenne.

La conjonction de ces trois courants a produit une force quasi irrésistible qui est en train d’accomplir ce que l’Acte d’union de 1840, la Confédération de 1867 n’ont pas réussi.

Rompre avec une politique d’immigration suicidaire

La noyade des 3ème génération se produit parce que les seuils d’immigration sont excessifs et depuis fort longtemps (au moins 25 ans).

Si l’intégration des immigrants était un objectif important pour le Québec, alors les seuils d’immigration seraient déterminés, en grande partie car les enfants sont l’avenir d’un peuple, en fonction de la capacité d’accueil des écoles.

Le nombre d’immigrants accueillis chaque année devrait être celui (essentiellement) qui permet de maintenir une très nette majorité, que l’on peut fixer à 80%, d’élèves de 3ème génération ou plus dans les écoles, idéalement dans chaque école et Centre de service scolaire à la grandeur du territoire.

Ce seuil de 80% ayant été défoncé un peu partout, cela signifie concrètement que nous avons besoin d’un moratoire à peu près total sur l’immigration; il faut arrêter de creuser, avec un enthousiasme morbide, notre propre tombe collective.

Car à moins d’un changement de cap majeur, nous allons nous aussi comprendre, dans notre chair et dans l’agonie de notre peuple et de notre culture, que « le bon droit, la compassion, la justice sont des notions étrangères à l’Histoire ».