Montée du « masculinisme » dans les écoles?

« Montée du discours masculiniste chez les ados » titrait le Journal de Québec le 2 avril 2025 en citant une étude provenant de la « Chaire de recherche du Canada en prévention de la radicalisation violente » à McGill University. Selon cet article, il « se passe quelque chose » dans les écoles et « des experts et profs constatent que la montée des discours masculinistes chez les ados est « un phénomène bien réel » dans plusieurs écoles secondaires du Québec ».

Comme je suis friand de toute donnée qui pourrait nous aider à comprendre mieux ce qui se passe dans nos écoles, je suis allé lire l’étude en question. Les deux études en fait, car le rapport de recherche cité dans l’article « La polarisation sociale dans les écoles secondaires : comment promouvoir le bien-être et réduire la violence chez les adolescent.e.s » publiée en octobre 2024, était précédé d’un autre rapport publié en septembre 2023. 

Mais la lecture de ces rapports de recherche a soulevé en moi plus de questions que de réponses n’ont été fournies. La validité des résultats présentés par toute étude de type « épidémiologique », où l’on cherche à mesurer des variables diffuses ou subjectives dépend entièrement de la rigueur de la méthodologie (échantillonnage, puissance statistique, validité du questionnaire, etc.) employée. Des études -reposant sur des associations statistiques- rapportant des résultats erronés sont monnaie courante en sciences biomédicales, par exemple, au point où la chose a été étudiée. Par exemple, John P.A. Ioannidis a publié en 2005 un article ayant eu un certain retentissement où il arguait que la « majorité » des études scientifiques étaient tout simplement, pour raisons de vices méthodologiques, fausses. Si ce papier a suscité un débat musclé, il est accepté qu’une proportion non négligeable (de 14 à 50%?) des études biomédicales sont erronées. Est-ce le cas de ces deux rapports de recherche? Impossible de le savoir, mais certains éléments laissent songeur.

Échantillon statistique

Par exemple, l’échantillon statistique utilisé est constitué d’élèves de 6 écoles montréalaises, autant francophones qu’anglophones. La moitié des élèves de l’échantillon provenaient d’écoles anglaises. Quel est le biais introduit par le fait de choisir la moitié d’élèves provenant d’écoles anglaises, soit d’écoles n’ayant pas du tout le même profil de clientèle que les écoles françaises? On ne le sait pas. Mais cet échantillon n’est guère représentatif de la moyenne des élèves québécois, ou même montréalais. L’échantillon, cependant, me semble assez volumineux pour offrir une puissance statistique intéressante (1183 élèves).

Questionnaires

Ces études tentent, à l’aide de questionnaires distribués aux élèves, de mesurer simultanément un grand nombre de variables relevant des attitudes liées à la violence, à l’extrême-droite, au climat en classe, à l’environnement, au masculinisme, au mouvement LGBTQ+ (qui inclut autant l’homosexualité que la question trans) ainsi que l’attitude à l’égard des « conflits dans le monde ». Cela fait beaucoup. On essaie de tout mesurer simultanément et, comme le temps manque, on limite le nombre de questions par sujet. Qui trop embrasse mal étreint; à vouloir tout mesurer d’un coup, on risque de mal cerner chaque sujet faute de questions assez nombreuses et précises.

Masculinisme

Ce qui laisse deux questions seulement, par exemple, pour le masculinisme :

a) « Les garçons devraient contrôler les personnes avec lesquelles leurs copines interagissent »

b) « Les filles disent souvent « non », uniquement parce qu’elles ne veulent pas que les hommes pensent qu’elles sont faciles ».

Si la première question me semble claire car il est question du contrôle des femmes par les hommes dans une relation amoureuse, la deuxième me semble plus ambiguë. Doit-on comprendre que les femmes n’auraient ou ne devraient pas avoir d’autonomie dans le désir? Ou doit-on plutôt comprendre qu’elles devraient projeter une image de « pudeur »? Ces interprétations différentes pourraient entrainer des réponses contradictoires. La proportion d’élèves qui répondent « d’accord » à la première question est de 19,2% et de 20,7% à la deuxième. Le taux de non réponse à cette deuxième question est de 9,1%, ce qui est passablement élevé et qui introduit évidemment un biais.

Quoi qu’il en soit, les proportions en « accord » sont relativement faibles et l’étude conclut d’ailleurs, justement, que « concernant le masculinisme, les résultats montrent un niveau relativement faible de masculinisme chez les participant.e.s, avec une moyenne de 3.52 (SD=1.84) sur une échelle allant de 2 à 10 » (p.24).

On rajoute (p.24) « néanmoins, 34 % des élèves sont en accord avec au moins un énoncé sur deux, un pourcentage non négligeable ». En sous-titre de l’article, le JdeQ choisit d’ailleurs de faire ressortir ce 34%, qui amalgame tous les élèves qui sont en accord avec une des questions sans nécessairement être d’accord avec l’autre. Mais seulement 10% (environ) des élèves étaient « d’accord » pour les deux questions. Voilà qui est déjà pas mal moins spectaculaire. Et qui n’est pas mentionné.

Les religions

La phrase suivante de l’étude (p.24), rapportée dans l’article du JdeQ a attiré mon attention : « Les participant.e.s d’obédience chrétienne et musulmane soutiennent plus l’idéologie masculiniste que ceux ou celles qui ne s’identifient pas à une religion ».

Notons la formulation; les élèves de religion chrétienne ET musulmane. Dans cette phrase, ces deux religions sont englobées en une seule variable. Au Québec, mettre les « religions » dans un seul sac pour clamer -souvent- qu’elles sont globalement toxiques est une figure convenue du discours public.

Quand on consulte les résultats de la régression multiple (p.52), l’on constate que les croyances religieuses sont bien liées à un degré plus élevé de masculinisme. Le coefficient de régression est, en ordre de force, plus important pour l’islam, les « autres religions » (non définies) et le christianisme. Dans cet ordre. Le fait d’être musulman est presque aussi étroitement corrélé au masculinisme que le fait d’être de genre « garçon » (notons l’usage de la théorie du genre dans cette étude). Est-ce significatif? On ne le sait.

Mais il est clair que le « masculinisme » que l’on cherche à mesurer ressemble étrangement à certaines conceptions de la femme provenant des religions monothéistes. Il n’est alors pas étonnant que l’islam, qui a une conception particulièrement rétrograde de la femme, arrive en tête de liste de la corrélation avec le masculinisme.

Plus loin dans l’étude, l’on constate aussi que l’islam est corrélé, de façon statistiquement significative, à « l’intention à la radicalisation violente » (p<0,05, p.54), mais ce résultat (alarmant?) n’est mis en exergue nulle part dans l’étude. Étrange alors que cette étude provient pourtant de la « Chaire de recherche du Canada en prévention de la radicalisation violente ».

Le nationalisme

Il y aurait plus à dire. D’autres questions me semblent être mal posées, ambiguës, ou véhiculent une forte charge idéologique. Par exemple, les variables « xénophobie » et « nationalisme » sont mesurées avec les questions : a) « Les étrangers ne devraient pas avoir le droit de vivre au Québec », b) « ça me fâche quand les gens ne sont pas fiers du Québec » et c) « Je détesterais voir plus d’enseignant.e.s et d’enfants d’immigrants au Québec » (Tableau 4, p.49). Par la première, par exemple, que veut-on dire par « étrangers »? Des sans-papiers? Des immigrants illégaux? Des gens qui n’appartiennent pas à notre groupe ethnique ou culturel? Cela n’est pas clair. Si l’on interprète la question a) comme signifiant « sans-papiers », plusieurs trouveront normal qu’ils n’aient pas le droit de vivre chez nous (c’est la loi, après tout). Si l’on l’interprète comme signifiant « hors de notre groupe ethnique », alors on pourrait, oui, parler d’une attitude xénophobe. Pour la question b), faut-il comprendre que le simple fait d’être « fier du Québec » serait un marqueur de xénophobie et de nationalisme? Voilà qui est particulier. Il est à noter que les « attitudes d’extrême-droite » sont tout bonnement amalgamées avec le « nationalisme ». Cette démonisation du nationalisme (Québécois, s’entend) est un choix idéologique qui en dit long sur le climat intellectuel dans lequel baigne les auteurs de l’étude.

Conclusion

Joannidis affirmait que « les résultats de recherche pourraient souvent n’être qu’une mesure des biais préexistants », autrement dit beaucoup d’études sont mal conçues et ne font que refléter les biais intrinsèques à leur méthodologie.

La charge idéologique forte de certains volets des questionnaires, les questions mal posées, ambiguës ou pas assez nombreuses limitent, à mon avis, la portée des conclusions des études dont il est question ici. Ce qui est malheureux.

Ce qui n’empêche cependant nullement le JdeQ de faire un texte alarmiste sur une soi-disant « montée » du masculinisme dans des écoles. Mais les études citées dans l’article ne disent pas ça.

On préfère donc, dans le sillon d’un série (de fiction!) Netflix sur le masculinisme, passer sous silence le fait que les études dont nous disposons indiquent que le degré de masculinisme mesuré est relativement faible dans 6 écoles montréalaises. Et on escamote le fait que ces études nous apprennent que seul l’islam est corrélé statistiquement à « l’intention à la radicalisation violente ».

Dans ces études, l’idéologie -le wokisme- contamine non seulement le choix des questions de recherche, mais également ce qui est rapporté. Et l’idéologie est l’antithèse d’une démarche scientifique rigoureuse.