François-Albert Angers, géant méconnu

Si l’été 2024 doit effectivement être « l’été des souverainistes », ceux-ci doivent en profiter pour renouer avec la riche, très riche tradition intellectuelle de la pensé indépendantiste et nationaliste québécoise. Le nationalisme québécois s’est développé grâce au travail et au sacrifice altruiste de nombre d’hommes et de femmes des générations passées; leur labeur a permis de sédimenter par couches successives un impressionnant corpus intellectuel que les générations actuelles peuvent maintenant exploiter et faire fleurir.

Pour voir plus loin, il faut se hisser sur les épaules de géants. Un de ces géants, à qui le mouvement nationaliste et indépendantiste doit énormément, et qui est pourtant tout à fait méconnu, est François-Albert Angers. L’historien Jean-Philippe Carlos a publié en 2023 une biographie intellectuelle de M. Angers, intitulée « François-Albert Angers, le rebelle traditionaliste » aux Éditions du Boréal. Ce livre est une excellente introduction à la pensée et à l’œuvre de M. Angers. Voilà donc une lecture d’été parfaite.

François-Albert Angers, né en 1909, fut l’un de ceux qui ont fait le pont entre la pensée nationaliste traditionaliste canadienne-française et le néonationalisme indépendantiste québécois qui émergeait aux alentours des années 60. Le traditionalisme est  défini comme (p.17) : « une sensibilité et un système de pensée catholique organisé selon une architecture de valeurs spécifiques, dont la croyance en un ordre divin supérieur et en un ordre naturel des choses, l’idée que l’homme est foncièrement imparfait, qu’il ne nait ni libre ni égal à ses semblables, d’où un besoin d’harmonie, d’autorité, de classes dirigeantes dont le devoir est d’éclairer le développement de la société. De même, le traditionalisme privilégie l’enracinement au détriment de l’aventure, la tradition plutôt que la table rase du passé et accorde un grand respect à l’autorité de l’Église et de la papauté, symbolisé par la doctrine sociale de l’Église. Cet enracinement se traduit également par la défense de la pérennité de la langue et de la culture françaises, qui constitue, avec le catholicisme, les fondements de l’identité canadienne-française ».

Si le traditionalisme est opposé à la philosophie moderniste, il n’est pas opposé à la modernisation en soi. Ainsi, le traditionalisme n’est pas « la répétition de l’autrefois, mais une philosophie qui soumet à un examen critique tout changement susceptible de tenir l’héritage culturel et historique d’une collectivité ». En ces temps où les fondements même de notre civilisation sont déconstruits par la révolution woke et où le peuple Québécois est en voie de se faire minoriser chez lui, il faut avouer qu’il est intéressant de ressortir les vieilleries et d’examiner le traditionalisme à la lumière du temps présent. Et si ces breloques venues du passé, que l’on avait remisées au grenier en attendant de les brûler au feu de la St-Jean, se révélaient finalement posséder une valeur inattendue?

François-Albert Angers fut l’un des fondateurs (avec son mentor Esdras Minville et Édouard Montpetit) de la science économique au Québec. Il fut professeur à l’École des HEC, une institution fondée en 1907 sous l’impulsion de la Chambre de commerce de Montréal dans une optique nationaliste afin de permettre à (p.40) « la nation canadienne-française de reprendre le contrôle de l’économie du Québec ». Car le nationalisme canadien-français de l’époque est fortement ancré dans une perspective économique. Édouard Montpetit (1881-1954), premier économiste professionnel canadien-français, embauché aux HEC en 1910, est également un nationaliste qui travaille dans l’optique de donner aux siens la place qui devrait leur revenir dans l’économie du Québec. Esdras Minville (1896-1975), embauché aux HEC en 1924, est un pionnier du coopérativisme et un théoricien du traditionalisme canadien-français pour qui (p.43) « le progrès n’implique ni rupture ni démolition, mais plutôt le développement d’une tradition qui s’enracine dans l’acquis, dans l’œuvre des générations qui l’ont précédé ». Pour Minville, le nationalisme (p. 43) « avait pour seule fin de consolider la maitrise de l’économie et l’édification d’un État vraiment national ». François-Albert Angers est le continuateur de cette prestigieuse lignée. Notons que Jacques Parizeau fut l’étudiant de François-Albert Angers et fut également professeur aux HEC. Le projet de ces hommes tient en peu de mots; il s’agit d’œuvrer « à la reconquête économique du Canada français ». Rien de moins.

Quel contraste entre cette pensée et celle de la CAQ, qui prône un « nationalisme » qui est essentiellement rhétorique. Économiquement, le projet de la CAQ est à des années-lumière de celui défendu et conceptualisé par Montpetit, Minville, Angers et Parizeau qui visait à prendre le contrôle de l’économie québécoise dans un but de développement et d’affranchissement collectif. Le projet de la CAQ est plutôt de se reposer sur « l’autre », soit essentiellement des multinationales étrangères, afin d’assurer notre développement économique à notre place. Il y a dans ce projet un désaveu implicite et une absence de confiance en la capacité des Québécois à mener leur développement économique de façon organique.

Multinationales que la CAQ attire chez nous avec de grosses subventions en nature (en énergie via les tarifs industriels cassés pratiqués par Hydro-Québec) et en argent provenant  directement des fonds publics. Le projet Northvolt, qui s’enligne à mon avis pour être le plus retentissant échec industriel de l’histoire du Québec, est emblématique de la stratégie caquiste. La privatisation d’Hydro-Québec, qui se prépare en douce sous Sabia, est également en rupture totale avec le nationalisme québécois des cent dernières années. Si ce projet se concrétise, nous serons privés d’ici quelques années d’un outil essentiel de développement économique. Cette stratégie caquiste fait en sorte que, globalement, les centres de décision relèveront de moins en moins de nous et que, progressivement, le Québec deviendra une simple économie de succursale. L’objectif de « rattraper l’Ontario », si cher aux yeux de M. Legault, est envisagé exclusivement sous le prisme individualiste. La pensée économique caquiste (si pensée il y a… ) a liquidée dans les faits toute notion d’affranchissement collectif.

Considéré sous cet angle, une fois que l’on écarte l’écran de fumée du nationalisme verbal de M. Legault, le projet économique de la CAQ est intrinsèquement fédéraliste et individualiste et est en rupture complète avec le nationalisme québécois. Se replonger dans cette biographie de François-Albert Angers permet de faire ressortir l’inanité du projet économique caquiste de façon spectaculaire.

Et c’est loin d’être tout. M. Angers est également l’un de ceux à qui l’on doit d’avoir placé la défense de la culture et de la langue françaises au cœur du nationalisme québécois actuel. Il fut le fondateur du Mouvement Québec Français (MQF) en 1972, organisme de la société civile qui visait à faire abroger la loi 63, la malnommée « Loi pour promouvoir la langue française au Québec » qui, plutôt que de promouvoir le français, venait reconnaitre le « libre-choix » de la langue d’enseignement au primaire et au secondaire, une mesure suicidaire alors que le taux de natalité était décroissant et que le taux d’immigration était croissant. En réponse au militantisme du MQF, la loi 63 fut remplacée par l’insuffisante loi 22 en 1974 et par la loi 101 en 1977.

Est-ce tout? Non, aucunement. Mais pour en savoir plus, vous devrez lire ce livre!